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Vladimir Poutine : interview intégrale du 30 aout 2008 par CNN

Matthew Chance : Bien que vous ne soyez plus le Président de la Russie, de nombreuses personnes à travers le monde pensent que c’est vous qui prenez encore les décisions. N’est-ce pas vous qui avez donné l’ordre aux forces Russes d’entrer en Georgie et donc vous qui devriez être tenu pour responsable des conséquences ?

Vladimir Poutine : Evidemment, ce n’est pas le cas. Selon la Constitution de la Fédération de Russie, les questions de défense et de politique étrangère sont du domaine du président. Le président de la Fédération de Russie a agi dans le cadre de ses prérogatives.

J’étais à Pékin pour l’ouverture des Jeux Olympiques. Ne serait-ce que pour cette raison, il m’était impossible de participer à la prise de décision, même si, bien sur, le Président Medvedev connaissait mon opinion sur la question. Je vais être franc avec vous, et d’ailleurs ce n’est pas un secret, nous avions envisagé tous les scénarios possibles, y compris une agression directe de la part des dirigeants Georgiens.

Il nous a fallu réfléchir à l’avance sur la mnaière de garantir la sécurité de nos soldats de la force de paix et des citoyens russes résidents en Ossétie du Sud. Mais, je le répète, une telle décision ne pouvait être prise que par le président de la Fédération de Russie, commandant en chef des forces armées, M. Medvedev. La décision lui appartient.

Matthew Chance : Mais ce n’est pas non plus un secret que vous avez insisté auprès de l’Occident pour que les préoccupations de la Russie relatives aux enjeux internationaux soient mieux prises en compte. Par exemple, à propos de l’expansion de l’OTAN, du déploiement de systèmes de défense antimissiles en Europe de l’est. Ce conflit n’a-t-il pas été l’occasion pour la Russie de montrer qu’elle était la puissance de la région, et que ce n’était pas l’OTAN et encore moins les Etats-Unis ?

Vladimir Poutine : Bien sur que non. De plus, nous ne recherchons pas de tels conflits et nous n’en voulons pas dans l’avenir. Que ce conflit ait eut lieu - qu’il ait éclaté malgré tout - est uniquement du au fait que nous n’avons pas été écoutés. Plus généralement, Matthew, je dirais ceci : il faut avoir une vision plus large de ce conflit.

Je crois que vous et vos - nos - téléspectateurs aujourd’hui seront intéressés d’en apprendre un peu plus sur l’histoire des relations entre les peuples et les groupes ethniques dans cette région du monde. Parce que les gens en savent trés peu, sinon rien. Si vous estimez que cela n’a pas d’importance, vous pourrez le couper au montage. N’hésitez pas, je ne vous en voudrais pas.

Mais j’aimerais rappeler que tous ces états, chacun à un moment donné, ont volontairement intégré l’Empire Russe. Au milieu du 18eme siècle, en 1745-1747, l’Ossétie fut le premier état à rejoindre l’Empire Russe. A cette époque, l’Ossétie formait un tout, le nord et le sud ne formaient qu’un seul état. En 1801, si ma mémoire est bonne, la Géorgie elle-même, qui était sous la pression de l’Empire Ottoman, a volontairement rejoint l’Empire Russe. Ce n’est que plus tard, en 1812, que l’Abkhazie a rejoit l’Empire Russe. Avant, c’était un état indépendant, une principauté indépendante.

Ce n’est qu’au milieu du 19eme siècle que la décision fut prise d’incorporer l’Ossétie du Sud dans la province de Tiflis. Cette décision, prise à l’intérieur d’un même état, ne fut pas considérée comme quelque chose de très importante. Mais je peux vous assurer que les années qui suivirent démontrèrent que les Ossètes n’ont pas vraiment apprécié. Cela dit, le gouvernement central du Tsar les a placé de facto sous la juridiction de ce qui aujourd’hui la Géorgie.

Lorsque l’Empire Russe éclata, après la première guerre mondiale, la Géorgie déclara son indépendance tandis que l’Ossétie choisit de rester dans la Russie. Ceci eut lieu juste après les événements de 1917. Le résultat fut qu’en 1918, la Géorgie lança une opération punitive plutôt brutale et, en 1921, recommença une nouvelle fois.

Lorsque l’Union Soviétique fut créée, ces territoires, sur décision de Staline, furent définitivement donnés à la Géorgie. Comme vous le savez, Staline était Géorgien. Donc, ceux qui insistent que ces territoires appartiennent à la Géorgie sont des Staliniens : ils défendent la décision de Joseph Vissarionovich Staline.

Cependant, avec tous les événements récents et quels que soient les motivations des parties impliquées, il ne fait aucun doute que nous sommes devant une tragédie. Cette tragédie nous touche particulièrement parce que pendant les nombreuses années où nous avons vécu aux côtés de la culture géorgienne - le peuple géorgien est un peuple de culture ancienne - celle-ci était devenue une partie de la culture multinationale de la Russie toute entière. Pour nous, cette affaire a même parfum de guerre civile, même si la Géorgie est un état indépendant, sans aucun doute. Nous n’avons jamais porté atteinte à la souveraineté de la Géorgie et n’avons aucune intention de le faire dans l’avenir. Pourtant, si l’on tient compte du fait que prés d’un million, et même plus d’un million, de Géorgiens sont venus s’installer ici, nous entretenons une relation spéciale avec ce pays et son peuple. Pour nous, tout ceci représente une tragédie toute particulière. Et je peux vous assurer, en portant le deuil des soldats Russes qui sont morts, et par dessus tout les civils innocents, nombreux sont les Russes qui portent aussi le deuil des Georgiens morts.

Je m’excuse pour ce long monologue. J’ai pensé que cela pouvait être intéressant.

Matthew Chance : C’est très intéressant que vous parliez de l’histoire impériale de la Russie dans la région parce qu’un des effets de l’intervention Russe en Géorgie est que d’autres pays, ex-membres de l’Union Soviétique, craignent désormais d’être les prochains sur la liste, qu’ils pourraient faire les frais d’une renaissance de l’Empire Russe - particulièrement des pays comme l’Ukraine, où vit une forte communauté russe, mais aussi la Moldavie, les états d’Asie centrale et même certains états baltes. Pouvez-vous garantir que la Russie n’utilisera plus jamais ses forces militaires contre un état voisin ?

Vladimir Poutine : je conteste fermement votre manière de formuler cette question. Ce n’est pas à nous de garantir que nous n’attaquerons personne. Nous n’avons attaqué personne. C’est nous qui exigeons des garanties des autres, pour être certains que l’on ne nous attaquera plus et que personne ne tuera nos citoyens. On est en train de nous présenter comme les agresseurs dans cette affaire.

J’ai ici la chronologie des événements qui se sont déroulés les 7,8 et 9 aout. Le 7, à 14h42, les officiers géorgiens qui se trouvaient au quartier général de la force de paix sont partis, ils ont quitté les lieux - où se trouvaient encore aussi bien des soldats Russes que Géorgiens et Ossètes - en déclarant qu’ils en avaient reçu l’ordre. Ils ont abandonné leur poste ainsi que nos soldats et ne sont jamais revenus pendant la toute la période précédant le début des hostilités. Une heure plus tard, les obus ont commencé à pleuvoir.

A 22h35 a commencé un bombardement intensif sur la ville de Tskhinvali. A 22h50, des troupes de l’armée géorgienne se sont déployées dans la zone de combat. Dans le même temps, des hôpitaux militaires géorgiens ont été dressés aux alentours. A 23h30, M. Kruashvili, brigadier-général et commandant de la force de paix géorgienne dans la région, a annoncé que la Géorgie avait décidé de déclarer la guerre à l’Ossétie du Sud. Ils l’ont annoncé directement et publiquement, devant les caméras de la télévision.

A ce moment, nous avons tenté de contacter les dirigeants géorgiens, mais ils ont tous refusé de répondre. A 0h45, le 8 aout, Kruashvili l’a encore répété. A 5h20, des colonnes de blindés géorgiennes ont lancé une attaque contre Tskhinvali, précédée de tirs intensifs de systèmes GRAD, et nous avons commencé à subir des pertes parmi nos hommes.

Comme vous le savez, j’étais à ce moment là à Pekin, et j’ai pu brièvement m’entretenir avec le président des Etats-Unis. Je lui ait directement dit que nous n’avions pas réussi à contacter un dirigeant géorgien mais qu’un des commandants de l’armée géorgienne avait déclaré qu’ils avaient lancé une guerre contre l’Ossétie du Sud.

George m’a répondu - et je l’ai déjà dit en public - que personne ne voulait une guerre. Nous espérions une intervention de l’administration US pour mettre fin aux actions agressives des dirigeants géorgiens. Mais il n’y a rien eu de tel.

De plus, à midi déjà , heure locale, les unités géorgiennes se sont emparés de la base de la force de paix au sud de Tskhinvali - qui s’appelle Yuzhni - et nos soldats, submergés par les Géorgiens à 6 contre 1, ont du se retirer vers le centre de la ville. De plus, nos soldats de la force de paix n’avaient pas d’armes lourdes, et celles qu’ils avaient ont été détruites lors des premiers tirs d’artillerie. Un de ces tirs à tué 10 personnes d’un coup.

Puis une attaque fut lancée contre la base de la force de la paix implanté au nord. Permettez-moi de vous lire le rapport de l’Etat major : « à 12h30, le bataillon de la force de paix de la Fédération de Russie déployé dans le nord de la ville a repoussé cinq attaques et les combats continuent. »

Pendant ce temps, l’aviation géorgienne bombardait la ville de Dzhava, qui se trouvait en dehors de la zone d’hostilités, dans la partie centrale de l’Ossétie.

Alors, qui est l’agresseur et qui est l’agressé ? Nous n’avons aucune intention d’attaquer qui que ce soit, et nous n’avons aucune intention d’entrer en guerre contre qui que ce soit.

Durant mes 8 années comme président, j’ai souvent entendu la même question : quelle est le rôle que la Russie se voit tenir dans le monde ; comme le voit-elle ; quelle est sa place ? Nous sommes un état pacifique et nous voulons coopérer avec tous nos voisins et tous nos partenaires. Mais si quelqu’un croit qu’il peut venir et nous tuer, et que notre place est au cimetière, il ferait mieux d’y réfléchir à deux fois.

Matthew Chance : pendant toute la période où vous étiez président de la Russie, et même encore aujourd’hui, vous avez entretenu une relation personnelle étroite avec le président des Etats-Unis, George W. Bush. Pensez-vous que le fait de n’avoir retenue les forces géorgiennes ait pu endommager cette relation ?

Vladimir Poutine : Cela a certainement endommagé nos relations, surtout les relations entre nos gouvernements. Mais ce n’est pas simplement le fait que l’administration US ait été incapable de retenir les dirigeants géorgiens lors de cet acte criminel, c’est aussi le fait que les Etats-Unis ont entrainé et équipé l’armée géorgienne. Pourquoi passer autant d’années en négociations difficiles, à chercher un compromis aux conflits interethniques ? C’est plus facile d’armer une des parties en présence et de la pousser à tuer ceux d’en face, pour en finir. Une solution tellement facile, en apparence. Cependant, ce n’est pas toujours le cas.

J’aimerais encore dire ceci. Ce que je vais dire n’est qu’une hypothèse, une supposition, et il faudra du temps pour y voir plus clair. Mais je pense qu’il y a là une matière à réflexion.

Même pendant les années de la guerre froide, qui fut une période de confrontation intense entre l’Union Soviétique et les Etats-Unis, nous avons toujours évité les conflits directs entre nos civils et, surtout, entre nos forces militaires. Nous avons de sérieuses raisons de croire qu’il y avait des citoyens US présents dans les zones de combat. Si tel est le cas, si cela devait être confirmé, c’est une très mauvaise nouvelle. C’est très dangereux. C’est une politique très mal inspirée. Mais si c’est effectivement le cas, cela pourrait avoir une conséquence sur la politique interieure des Etats-Unis. Si mes suppositions sont confirmées, il y a lieu de penser que certaines personnes aux Etats-Unis ont délibérément déclenché ce conflit pour aggraver la situation et créer un avantage pour un des candidats à la présidence des Etats-Unis. Et si tel est le cas, ce ne serait alors qu’une opération de politique intérieure, de la pire espèce qui soit, celle qui mène au bain de sang.

Matthew Chance : ce que vous dites est assez étonnant, mais pour que les choses soient claires, M. le Premier Ministre, êtes-vous en train de suggérer qu’il y avait des militaires US sur le terrain en train d’assister les forces géorgiennes, peut-être même en train de provoquer un conflit pour donner une sorte d’avantage à un des candidats à la présidence des Etats-Unis ?

Vladimir Poutine : permettez-moi de vous expliquer.

Matthew Chance : si c’est cela que vous êtes en train de dire, quelles preuves avez vous ?

Validimir Poutine : Je vous ai dit que si la présence de ressortissants états-uniens dans la zone des hostilités était confirmée, cela ne pouvait signifier qu’une seule chose : ils n’y étaient que sur les ordres directs de leur hiérarchie. Et si c’est la cas, cela signifie que dans la zone de combat il y avait des ressortissants US en train d’exécuter des ordres. Ils ne pourraient y être que sous les ordres de leurs supérieurs, pas de leur propre initiative.

Des spécialistes ordinaires, même s’ils forment du personnel militaire, doivent le faire dans des centres d’entraînement ou sur des terrains d’entraînement, pas dans une zone de combat.

Je répète : tout ceci demande une confirmation. Je ne fais que citer des rapports de nos militaires. Bien sur, je vais essayer de tirer toute cette affaire au clair.

Mais après tout, pourquoi êtes-vous surpris par mon hypothèse ? Il y a des problèmes au Moyen-Orient, où toute réconciliation paraît illusoire. En Afghanistan, les choses ne s’arrangent guère, pire encore les Taliban ont lancé une offensive majeure et des dizaines de soldats de l’OTAN sont tués. En Irak, après l’euphorie des premières victoires, il y a des problème partout et le nombre de tués (US - ndt) s’élève à 4.000. L’économie va mal, tout le monde le sait. Il y une crise financière et immobilière. Même nous, nous sommes concernés, et nous aimerions voir ces crises se résoudre rapidement. Mais en attendant, les problèmes sont là .

Certains auraient bien besoin de gagner une petite guerre. Et si ça ne marche pas, il n’y aura qu’à rejeter la faute sur la Russie, se servir de nous pour créer un ennemi, et en toile de fond d’une nouvelle poussée de chauvinisme, rallier le pays autour de certaines forces politiques.

Je suis surpris que vous soyez surpris par mes propos. C’est pourtant clair.

Matthew Chance : Ca semble un peu tiré par les cheveux, mais cela m’intéresse parce que j’étais en Géorgie au moment du conflit et le pays était secoué par des rumeurs. Une des ces rumeurs disait que des militaires états-uniens avaient été capturés dans les zones de combat. Y’a-t-il une part de vérité dans cette rumeur ?

Vladimir Poutine : Je n’ai aucune information à ce sujet. Je pense que c’est inexact.

Je répète : je vais demander à nos militaires de plus amples informations quant à la présence de ressortissants US dans les zones de combat.

Matthew Chance : revenons-en à la crise diplomatique qui a suivi le conflit, parce qu’une des conséquences est qu’il y a la menace d’actions contre la Russie de la part de nombreux pays dans le monde. La Russie pourrait être exclue du groupe des pays industrialisés, le G8. On parle aussi de suspendre ses relations avec l’OTAN. Quelle sera la réponse de la Russie si le pays était isolé sur le plan diplomatique suite à cette tension entre la Russie et l’Occident ?

Vladimir Poutine : avant tout, si mon hypothèse quant à la dimension purement interieure aux Etats-Unis de ce conflit est correcte, alors je ne vois pas pourquoi les alliés des Etats-Unis soutiendraient un parti politique US contre un autre lors d’une campagne électorale. C’est une attitude qui n’est pas honnête vis-à -vis de peuple états-unien dans son ensemble. Mais nous n’excluons pas la possibilité, comme cela est déjà arrivé, que l’administration US fasse plier ses alliés.

Alors que faire ? Quels choix avons-nous ? D’un côté, faudrait-il accepter de se faire tuer pour pouvoir rester, disons, au G8 ? Et qui irait au G8 si nous étions tous tués ?

Vous avez mentionné la possibilité d’une menace russe. Vous et moi sommes assis ici, pour une conversation tranquille dans la ville de Sochi. A quelques centaines de kilomètres d’ici, des navires de l’US Navy se sont approchés, transportant des missiles d’une portée de justement quelques centaines de kilomètres. Ce ne sont pas nos navires qui se sont approchés de vos côtes, ce sont vos navires qui se sont approchés des nôtres. Alors, quels choix avons-nous ?

Nous ne voulons pas de complications, nous ne voulons aucune dispute avec quiconque ; nous ne voulons nous battre contre personne. Nous voulons une coopération normale et un respect à notre égard et un respect pour nos intérêts. Est-ce trop demander ?

Vous avez parlé du G8. Dans sa forme actuelle, le G8 n’a déjà plus assez de poids. Sans la République Populaire de Chine ou l’Inde, sans les consulter, sans influence sur leurs décisions, un développement normal de l’économie mondiale est impossible. Ou alors prenez le cas de la guerre contre la drogue, de la lutte contre les épidémies, contre le terrorisme, pour la non-prolifération des armes nucléaires... D’accord, si quelqu’un veut le faire sans la Russie, mais quels seraient les résultats ?

Ce n’est pas comme ça qu’il faut penser, et il est inutile de recourir à l’intimidation. Nous n’avons pas peur, pas du tout. Ce qu’il faut, c’est une analyse réaliste de la situation, en regardant vers le futur pour pouvoir développer des relations normales, dans le respect des intérêts de chacun.

Matthew Chance : vous avez fait allusion à des domaines de coopération entre les Etats-Unis et la Russie, particulièrement par exemple sur le programme nucléaire très controversé de l’Iran. Etes-vous en train de laisser entendre que vous pourriez retirer votre coopération au sein des Nations Unies pour traiter ce problème sans les Etats-Unis, si la pression diplomatique devait aboutir à une rupture entre la Russie et l’Occident ?

Vladimir Poutine : La Russie a constamment travaillé en toute bonne foi avec ses partenaires sur tous les problèmes, ceux que j’ai mentionnés et ceux qui vous avez ajoutés. Nous le faisons parce que quelqu’un nous le demande et que nous voulons lui rendre ce service, ou parce que cela correspond à nos intérêts, parce que ces sujets, nos intérêts nationaux, coïncident avec ceux de nombreux pays européens et ceux des Etats-Unis. Si personne ne veut avoir affaire à nous sur tous ces sujets et que toute coopération avec la Russie vous semble inutile, alors que Dieu vous bénisse et débrouillez-vous.

Matthew Chance : Et qu’en est-il des fournitures d’energie, parce qu’il est évident que des pays européens en particulier sont de plus en plus dépendants du gaz et du pétrole russe. Est-ce que la Russie pourrait utiliser les fournitures d’énergie à l’Europe occidentale comme moyen de pression si les relations diplomatiques devaient se déteriorer ?

Vladimir Poutine : Nous ne l’avons jamais fait. La construction du premier gazoduc a commencé dans les années 60, en pleine Guerre Froide, et pendant toutes ces années, depuis ces années 60, la Russie a toujours respecté ses engagements et a toujours été un partenaire fiable, malgré la situation politique.

Nous ne politisons jamais les relations commerciales, et nous sommes trés étonnés par l’attitude de certains officiels du gouvernement des Etats-Unis qui visitent les capitales européennes pour tenter de convaincre les Européens de ne pas acheter nos produits, le gaz naturel par exemple. Ils font un effort incroyable pour politiser l’économie. En fait, c’est assez dommageable.

Il est vrai que les Européens dépendent de notre énergie mais nous aussi nous dépendons de tous ceux qui achètent notre gaz. C’est une interdépendance, et c’est précisément une garantie de stabilité.

Et puisque nous en sommes à parler d’économie, j’aimerais vous informer d’une décision qui sera prise prochainement. Permettez-moi d’abord de préciser que cela n’a rien à voir avec une crise quelconque, ni la situation en Abkhazie ni en Ossétie du sud. Il s’agit d’une question purement économique. Voilà de quoi il s’agit.

Depuis un certain temps, nous avons eu des discussions sur différents produits en provenance de différents pays, dont les Etats-Unis. Et, bien sur, le débat est particulièrement intense, en règle général, lorsqu’il s’agit de produits agricoles.

Au mois de juillet, août, nos services sanitaires ont mené des inspections dans des usines US qui nous fournissent de la volaille. Des inspections sur site. On a découvert que 19 de ces usines avaient ignoré les observations que nous avions formulées en 2007. Ces usines seront retirées de la liste des fournisseurs de volaille à la Fédération de Russie. Vingt-neuf usines avaient reçu des avertissements comem quoi ils devaient, dans un avenir proche, rectifier la situation que nos services sanitaires jugeaient inacceptables. Nous espérons que leur réaction sera rapide et qu’ils pourront continuer à fournir leurs produits au marché russe.

Cette information m’a été communiquée par le ministre de l’Agriculture.

Permettez-moi de rappeler que nous détestons que l’on relie toutes ces questions entre elles : les problèmes de conflit, la politique, l’économie, la viande. Chacune a sa propre dimension et les unes n’ont rien à voir avec les autres.

Matthew Chance : Monsieur le Premier Ministre, ceci apparaît ou pourrait être interprété aux Etats-Unis comme une sanction économique. Vous pouvez préciser une de ces 19 entreprises agricoles que vous avez découvert ?

Vladimir Poutine : Je ne suis pas un spécialiste en questions agricoles. Ce matin, le ministre de l’agriculture m’a communiqué cette information.

J’ai déjà dit et je veux le répéter. En juillet, aout de cette année, des inspections ont été effectuées dans des usines aux Etats-Unis qui fournissent de la volaille au marché russe. On a découvert que certaines des observations formulées par nos spécialistes en 2007 avaient été ignorées que ces usines n’avaient rien fait pour corriger des défauts identifiés lors d’inspections antérieures. Pour cette raison, le Ministère de l’Agriculture a décidé de les retirer de la liste des exportateurs.

Dans 29 autres usines, certains problèmes ont été découverts. Ils ont été correctement identifiés et des instructions ont été données pour les corriger afin que les accords puissent être maintenus. Nous espérons que ces problèmes seront rapidement résolus.

On a découvert que leurs produits contenaient des quantités excessives de certaines substances qui font l’objet de contrôles dans notre pays. Des quantités excessives d’antibiotiques et peut-être de certaines substances comme l’arsenic. Je n’en suis pas certain, c’est aux experts de le préciser. Ceci n’a rien à voir avec la politique. Ce ne sont pas des sanctions. Des telles mesures ont déjà été prises dans le passé. Il n’y a rien de catastrophique. Ca veut juste dire que nous devons travailler ensemble à résoudre le problème.

De plus, lorsque le ministre m’a appelé, il a dit « franchement, nous ne savons pas quoi faire. Cela paraîtra comme une sanction, mais nous devons prendre une décision. Bien sur, nous pouvons aussi attendre. »

Je crois qu’ils ont parlé d’arsenic. Mais nous avons notre propre réglementation. Si vous voulez exporter vers notre marché, vous devez respecter notre réglementation. Tout le monde le sait. Nous le leur avons dit dés 2007.

Matthew Chance : les Etats-Unis ne vont pas apprécier.

Vladimir Poutine : Il y a certaines chose que nous n’apprécions pas non plus. Il faut qu’ils travaillent plus étroitement avec notre Ministère de l’Agriculture. C’est déjà arrivé dans le passé. Nous les avons exclus, puis nous les avons autorisés à nouveau. Non seulement avec des fournisseurs US, mais des brésiliens aussi.

Matthew Chance : pour conclure...

Vladimir Poutine : nous pourrions continuer, je ne suis pas pressé.

Matthew Chance : Monsieur le Premier Ministre, vous êtes, peut-être plus que tout autre, symbole du regain de prestige international de ce pays. Après la chute de l’Union Soviétique, après la chaos des années 90, pensez-vous que vous êtes en train de gâcher ce prestige international par vos actions en Géorgie, par vos interdictions contre des usines de volaille aux Etats-Unis ? Est-ce que cela vous préoccupe ?

Vladimir Poutine : Eh bien, je vous ai dit qu’il n’y avait pas d’embargo sur la volaille US. Certaines usines n’ont pas répondu à nos exigences pendant plus d’un an. Nous devons protéger notre marché et nos consommateurs, comme dans tous les pays, y compris les Etats-Unis.

Pour ce qui concerne le prestige de la Russie, nous n’aimons pas la tournure des événements récents, mais nous n’avons pas provoqué cette situation. En fait, au cours de ces dernières années, nos partenaires US ont cultivé la loi du plus fort au lieu du respect du droit international. Lorsque nous avons tenté d’empêcher la décision sur le Kosovo, personne ne nous a prêté l’oreille. Nous avons dit, ne faites pas ça, attendez, vous nous mettez dans une situation terrible dans le Caucase. Qu’allons nous dire aux petites nations du Caucase, que le Kosovo peut avoir son indépendance et pas elles ? Vous nous mettez dans une situation ridicule. A cette époque, personne ne parlait de droit international, nous étions les seuls. A présent, ça leur revient à l’esprit. Et maintenant, pour une raison ou une autre, tout le monde ne parle que de droit international. Mais qui a ouvert la boite de Pandore ? Nous ? Non, pas nous. Ce n’est pas nous qui avons pris cette décision et ce n’était pas notre politique.

Il y a deux choses dans le droit international : le principe d’intégrité territoriale et le droit à l’autodétermination. Il suffit d’arriver à un accord sur ces règles de base. Je pense que le temps est venu.

Quant à la perception du public sur les événements qui se déroulent, il est évident qu’une bonne part dépend non seulement des politiciens mais aussi de leur dextérité à manipuler les média, à influencer l’opinion publique mondiale. Nos collègues états-uniens sont évidemment beaucoup plus doués que nous. Nous avons beaucoup à apprendre. Mais est-ce que c’est fait d’une manière correcte, démocratique ? L’information est-elle toujours objective ?

Par exemple, rappelons-nous l’interview d’une fillette de 12 ans et de sa tante qui, pour ce que j’ai compris, vivent aux Etats-Unis et ont été les témoins des événements en Ossétie du sud. L’interviewer d’une des grandes chaînes, Fox News, n’arrêtait pas de l’interrompre. Il passait son temps à l’interrompre. Dés qu’il n’aimait pas quelque chose qu’elle disait, il commençait à l’interrompre, il toussait, il gémissait, faisait des grimaces. Il a tout fait, tout tenté, à part faire sous lui, mais il n’en était pas loin. Est-ce là une manière objective de donner une information ? Est-ce ainsi qu’on doit informer ses concitoyens ? Non, ça, c’est de la désinformation.

Nous voulons vivre en paix et en harmonie. Nous voulons des relations commerciales normales. Nous voulons coopérer dans tous les domaines, pour garantir la sécurité internationale, pour travailler sur les problèmes de désarmement, pour combattre le terrorisme et la drogue, sur le problème du nucléaire iranien, sur celui de la Corée du nord qui commence à donner des signes alarmants. Nous y sommes prêts mais nous voulons que ce travail soit honnête, ouvert et dans un esprit de partenariat, plutôt que dans un esprit égoïste.

On a tort de faire de quelqu’un son ennemi. On a tort d’effrayer ses propres concitoyens avec cet ennemi pour tenter quelques ralliements. Nous devons travailler avec un esprit d’ouverture et honnêtement pour trouver des solutions à ces problèmes. C’est cela que nous voulons et nous y sommes prêts.

Matthew Chance : revenons à l’affirmation selon laquelle les Etats-Unis ont provoqué la guerre. Les diplomates aux Etats-Unis accusent la Russie de provoquer une guerre en soutenant les séparatistes d’Abkhazie et d’Ossétie du sud, en leur fournissant des armes, en renforçant les forces militaires dans ces territoires et en réorganisant leurs institutions... en fait, vous leur donnez le feu vert pour avancer et créer une situation de fait accompli. N’est-ce pas la Russie qui a plutôt provoqué ce conflit ?

Vladimir Poutine : je peux facilement répondre à cette question. Depuis les années 90, lorsque le conflit a éclaté, et il a éclaté dans l’histoire récente parce que la Géorgie a décidé de retirer à l’Abkhazie et à l’Ossétie du sud l’autonomie dont ils bénéficiaient depuis l’époque de l’Union Soviétique, comme partie de la Géorgie Soviétique. Et dés que cette décision fut prise, les agitations ethniques et les hostilités ont commencé. A cette époque, la Russie a signé bon nombre d’accords internationaux, que nous avons tous respectés. Dans les territoires d’Abkhazie et d’Ossétie du sud, nous n’avions qu’une force de maintien de la paix prévue par ces accords et nous n’avons jamais dépassé le quota.

La partie adverse - je parle de la Géorgie - avec le soutien des Etats-Unis, a violé ces accords d’une manière éhontée. Sous couvert d’unités appartenant au ministère de l’intérieur, ils ont secrètement envoyé dans la zone des soldats de l’armée régulière, des unités spéciales et des armes lourdes. En fait, ils ont encerclé Tskhinvali, la capitale d’Ossétie du sud, avec des armes lourdes et des blindés. Ils ont encerclé nos soldats de la force de paix avec des blindés et leur ont tiré dessus à bout portant.

Ce n’est qu’aprés, après nos premières pertes dont le nombre augmentait considérablement, après des dizaines de morts - je crois que 15 ou 20 soldats de la force de paix ont été tués, et il y a eu de lourdes pertes du côté des civils, avec des centaines de morts - ce n’est qu’après tout ça que le Président Medvedev a décidé d’envoyer un contingent militaire pour sauver la vie de nos soldats et des civils innocents.

De plus, lorsque nos troupes ont commencé à avancer en direction de Tskhinvali, ils sont tombés sur une zone fortifiée qui avait été secrètement préparée par l’armée géorgienne. Des blindés et de l’artillerie lourde avaient été enterrés, et ils ont commencé à tirer sur nos soldats.

Tout ceci a été effectué en violation des accords internationaux.

On peut, évidemment, concevoir que nos partenaires US n’étaient pas au courant, mais c’est assez peu probable.

Une personne totalement neutre, l’ancienne Ministre géorgienne des affaires étrangères, Mme. Zurabishvili, qui est française je crois et qui vit à Paris, a publiquement déclaré, et cela a été diffusé, qu’il y avait une très grande quantité de conseillers US présents et qu’ils étaient au courant de tout, bien sur.

Et si notre supposition est confirmée, et qu’il y avait bien des citoyens US dans les zones de combat - et je répète qu’il nous faut de plus amples informations de la part de nos militaires - alors nos soupçons seraient tout à fait justifiés.

Ceux qui poursuivent une telle politique contre la Russie, que croient-ils ? Nous aimeront-ils uniquement lorsque nous serons morts ?

Matthew Chance : Merci.

Vladimir Poutine : Merci beaucoup.

CNN - 30 aout 2008


Traduction VD pour le Grand Soir
http://www.legrandsoir.info

Interview originale :
http://www.cnn.com/2008/WORLD/europe/08/29/putin.transcript/

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Aldous Huxley

Le DECODEX Alternatif (méfiez-vous des imitations)
(mise à jour le 19/02/2017) Le Grand Soir, toujours à l’écoute de ses lecteurs (réguliers, occasionnels ou accidentels) vous offre le DECODEX ALTERNATIF, un vrai DECODEX rédigé par de vrais gens dotés d’une véritable expérience. Ces analyses ne sont basées ni sur une vague impression après un survol rapide, ni sur un coup de fil à « Conspiracywatch », mais sur l’expérience de militants/bénévoles chevronnés de « l’information alternative ». Contrairement à d’autres DECODEX de bas de gamme qui circulent sur le (...)
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Lorsque les psychopathes prennent le contrôle de la société
NdT - Quelques extraits (en vrac) traitant des psychopathes et de leur emprise sur les sociétés modernes où ils s’épanouissent à merveille jusqu’au point de devenir une minorité dirigeante. Des passages paraîtront étrangement familiers et feront probablement penser à des situations et/ou des personnages existants ou ayant existé. Tu me dis "psychopathe" et soudain je pense à pas mal d’hommes et de femmes politiques. (attention : ce texte comporte une traduction non professionnelle d’un jargon (...)
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Médias et Information : il est temps de tourner la page.
« La réalité est ce que nous prenons pour être vrai. Ce que nous prenons pour être vrai est ce que nous croyons. Ce que nous croyons est fondé sur nos perceptions. Ce que nous percevons dépend de ce que nous recherchons. Ce que nous recherchons dépend de ce que nous pensons. Ce que nous pensons dépend de ce que nous percevons. Ce que nous percevons détermine ce que nous croyons. Ce que nous croyons détermine ce que nous prenons pour être vrai. Ce que nous prenons pour être vrai est notre réalité. » (...)
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