RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher
27 

Comprendre ou ne pas comprendre Poutine

En Allemagne, ces jours-ci, de très nombreux citoyens sont très critiques de la campagne constante de dénigrement de la Russie par les grands médias alignés sur l’OTAN. Ils peuvent souligner que le changement de régime soutenu par les Etats-Unis à Kiev, en mettant au pouvoir un gouvernement de transition d’extrême droite prêt à adhérer à l’OTAN, a posé une menace claire à la préservation de la seule base navale russe en eau chaude, située en Crimée. Dans les circonstances, et dans la mesure où la population de Crimée l’a massivement approuvé, le rétablissement de Crimée dans la Fédération de Russie était une mesure défensive justifiée, et non pas une « agression gratuite ».

En Allemagne, quelqu’un qui dit une telle chose peut être dénigré comme une « Putinversteher » (quelqu’un qui comprend Poutine).

Tout est dit. Nous ne sommes pas censés comprendre. Nous sommes censés haïr. Les médias sont là pour ça.

Alors que l’Occident refuse obstinément de comprendre Poutine et la Russie, Vladimir Poutine, au contraire, semble comprendre les choses assez bien.

Il semble comprendre que lui et sa nation sont systématiquement attirés dans un piège mortel par un ennemi qui excelle dans l’art contemporain de la « communication ». Dans une situation de guerre, la communication de l’OTAN signifie que les faits importent peu. Ce qui importe, c’est de contrôler la narrative. Celle présentée par les médias occidentaux ne peut fonctionner qu’à condition de ne pas comprendre la Russie, et de ne pas comprendre Poutine. Dans la version Occidentale, Poutine et la Russie sont les méchants de l’histoire, simplement la dernière réincarnation de Hitler et de l’Allemagne nazie.

L’horrible massacre à Odessa le 2 mai l’a démontré. Les preuves photographiques, les témoignages de nombreux témoins oculaires, les corps fumants et les cris des tueurs, tout est là pour prouver ce qui s’est passé. Des tentes dressées pour recueillir des signatures en faveur d’un référendum pour introduire un système fédéral en Ukraine (aujourd’hui politiquement divisé, mais avec un pouvoir totalement centralisé) ont été incendiés par une milice de voyous fascistes qui ont attaqué les fédéralistes locaux comme des « séparatistes » (les accusant de vouloir se « séparer » de l’Ukraine pour rejoindre la Russie, alors que ce n’est pas ce qu’ils demandent). Les militants locaux se sont réfugiés dans le grand bâtiment syndical sur la place où ils ont été poursuivis, agressés, assassinés et brûlés par des « nationalistes ukrainiens », agissant pour le compte du régime illégitime de Kiev soutenu par l’Occident.

Peu importe la violence des assauts, les médias occidentaux n’ont vu aucun mal, n’ont entendu aucun mal, n’ont dit aucun mal. Ils ont déploré une « tragédie » qui s’est simplement déroulée, comme ça.

Odessa est la preuve que quoi qu’il arrive, la classe politique de l’OTAN, les dirigeants politiques et les médias, tous unis, ont choisi leur narrative et s’y conforment. Les nationalistes qui ont pris le pouvoir à Kiev sont les bons, les gens agressés à Odessa et dans l’Est de l’Ukraine sont « pro-russe « et donc les « méchants ».

Comprendre Poutine

Alors, malgré tout, essayons de comprendre le président Poutine, ce qui n’est vraiment pas très difficile. Derrière chaque action consciente il devrait y avoir un motif. Examinons les motifs. Aujourd’hui, le ministre des Affaires étrangères du Royaume-Uni, William Hague, qui donne certainement tous les signes de ne jamais rien comprendre - ou de ne jamais vouloir comprendre - ressasse la ligne de l’OTAN selon laquelle la Russie « cherche à orchestrer des conflits et des provocations » dans l’est et le sud de l’Ukraine.

Cela n’a aucun sens. Poutine n’a absolument aucune raison de vouloir une guerre civile dans l’Ukraine voisine, et toutes les raisons de faire tout son possible pour l’éviter. Il est confronté à un sérieux dilemme. Les attaques violentes en cours par des nationalistes fanatiques de l’Ukraine occidentale contre les citoyens dans l’est et le sud du pays ne peuvent qu’inciter les Ukrainiens russophones victimes à crier au secours, en demandant de l’aide de la Russie. Mais en même temps, Poutine doit savoir que ces russophones Ukrainiens n’ont pas vraiment envie d’être envahis par la Russie. Peut-être veulent-ils quelque chose d’impossible. Et il est parfaitement évident que tout usage de la force militaire par la Russie pour protéger les gens en Ukraine déclencherait une diabolisation encore plus féroce de Poutine en tant que « nouveau Hitler » qui envahit les pays « sans raison ». Et l’OTAN s’en servirait, comme elle s’est déjà servi de la réunification de la Crimée avec la Russie, comme « preuve » que l’Europe doit renforcer son alliance, établir des bases militaires dans toute l’Europe de l’Est et (surtout) dépenser plus d’argent pour sa « défense » (en achetant du matériel militaire américain) .

La mainmise de l’Ouest sur le gouvernement de Kiev est clairement une provocation pour attirer Poutine dans un piège que certains stratèges occidentaux (Zbigniew Brzezinski étant le théoricien en chef) espèrent provoquera la chute de Poutine et plongera la Russie dans une crise qui peut éventuellement conduire à son éclatement.

Poutine ne peut que souhaiter une solution pacifique à la pagaille ukrainienne.

Alors que Washington revient à la politique de guerre froide de « containment » pour « isoler » la Russie, Vladimir Poutine a tenu mercredi des entretiens à Moscou avec Didier Burkhalter, le président suisse et actuel président de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE ) dans l’espoir d’initier une sorte de médiation pacifique.

Poutine a-t-il déjoué un plan de provocation ?

A cette occasion, M. Poutine a annoncé qu’il avait retiré les forces russes de la frontière avec l’Ukraine. Il a indiqué que c’était pour apaiser les inquiétudes quant à leur positionnement, à savoir les affirmations selon lesquelles la Russie était en train de préparer une invasion. Il a également conseillé de reporter la tenue d’un référendum pour une plus grande autonomie des régions russophones jusqu’à ce que « les conditions du dialogue » soient créées.

Cependant, l’annonce de ce retrait militaire a soulevé de nouvelles inquiétudes chez des Ukrainiens de l’est qui craignent que la Russie ne les abandonne à leur sort, et chez certains Russes qui ne veulent pas que leur Président cède aux pressions occidentales.

Il n’est pas impossible que l’ordre de repli soit lié à un rapport de Novosti RIA daté du 6 mai, selon lequel les services secrets ukrainiens seraient en train de préparer une opération imminente sous faux pavillon pour accuser la Russie d’avoir violé la frontière avec l’Ukraine.

Novosti aurait appris de sources informées à Kiev que les services secrets ukrainiens du SBU avait secrètement envoyé environ 200 uniformes de l’armée russe et 70 faux papiers d’identités d’officiers russes dans le bastion de la protestation ukrainienne de l’Est, Donetz, pour les utiliser dans la mise en scène d’une fausse attaque contre des gardes frontaliers ukrainiens.

Les rapports ne pouvaient pas être confirmés, mais ils pouvaient néanmoins être pris au sérieux par les Russes. « Le plan serait de simuler une attaque sur les troupes de frontières ukrainiennes et de la filmer pour les médias », indique le rapport. Dans le cadre de ce plan, une dizaine de combattants du Secteur Droit ultranationaliste devaient traverser la frontière et kidnapper un soldat russe afin de le présenter comme « preuve » de l’incursion militaire russe. L’opération aurait été prévue pour le 8 ou 9 mai.

En éloignant les troupes russes de la frontière, Poutine pouvait espérer rendre moins plausible cette opération sous faux pavillon sinon l’empêcher.

Toute l’opération du changement de régime ukrainien, en partie dirigée par Victoria Nuland du Département d’Etat américain, a été caractérisée par des opérations sous faux pavillon, plus notoirement lorsque des tireurs d’élite ont soudainement semé la mort et la terreur sur la place Maidan à Kiev, détruisant l’accord de transition pacifique réalisé sous égide internationale. Accusant le président Ianoukovitch d’avoir envoyé les tueurs, les insurgés « pro-Occidentaux » forcèrent un Parlement croupion d’installer au pouvoir le protégé choisi de Mme Nuland, Arseniy « Yats » Iatseniouk. Cependant, il y a de nombreuses preuves que les tireurs d’élite mystérieux étaient des mercenaires pro-occidentaux : des preuves photographiques, puis la déclaration au téléphone du ministre des Affaires étrangères estonien à ce sujet, et enfin la conclusion du documentaire Monitor diffusé par la chaîne allemande ARD que les tueurs provenaient des milieux néonazis impliqués dans le soulèvement Maidan. En effet, tout va dans le sens d’une opération de l’extrême droite antirusse, et pourtant l’Occident persiste à tout mettre sur le dos de la Russie.

Donc, quoi qu’il fasse, Poutine doit se rendre compte que tout sera délibérément « incompris » et déformé par les dirigeants et les médias occidentaux. A l’insu du peuple américain, à l’insu des Allemands, des Français et d’autres Européens, ceux que nous pouvons décrire comme nos propres « oligarques » occidentaux semblent être arrivés à un consensus visant à relancer la guerre froide afin de fournir à l’Occident un « ennemi » d’une envergure suffisamment impressionnante pour donner un nouveau souffle au complexe militaro-industriel et unir la communauté transatlantique contre le reste du monde.

C’est ce que les dirigeants russes sont obligés de comprendre. Pour éviter au monde une suite sans fin de conflits destructeurs il faudrait enfin que les citoyens Américains et Européens, qui n’ont jamais été consultés ou informés au sujet de ce changement périlleux de stratégie, comprennent ce qui ce passe, car, s’ils comprenaient vraiment, ils diraient certainement non.

Diana Johnstone

Traduction "Ils vont finir par me faire aimer Poutine" par VD pour le Grand Soir, avec probablement moins de fautes et de coquilles que d’habitude car révisée par l’auteure

URL de cet article 25520
  

Même Auteur
Hillary Clinton, la « Reine du Chaos »
Diana JOHNSTONE
1. Dans votre dernier livre, vous appelez Hillary Clinton la « Reine du Chaos. » Pouvez-vous expliquer pourquoi vous avez choisi ce sobriquet péjoratif pour décrire Hillary ? En un mot, la Libye. Hillary Clinton était si fière de son rôle majeur dans le déclenchement de la guerre contre la Libye qu’elle et ses conseillers avaient initialement prévu de l’utiliser comme base d’une « doctrine Clinton », ce qui signifie une stratégie de changement de régime façon « smart power » , comme un slogan de la (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

En transformant les violences de l’extrême droite vénézuélienne en "révolte populaire", en rhabillant en "combattants de la liberté" des jeunes issus des classes aisées et nostalgiques de l’apartheid des années 90, c’est d’abord contre les citoyens européens que l’uniformisation médiatique a sévi : la majorité des auditeurs, lecteurs et téléspectateurs ont accepté sans le savoir une agression visant à annuler le choix des électeurs et à renverser un gouvernement démocratiquement élu. Sans démocratisation en profondeur de la propriété des médias occidentaux, la prophétie orwellienne devient timide. L’Amérique Latine est assez forte et solidaire pour empêcher un coup d’État comme celui qui mit fin à l’Unité Populaire de Salvador Allende mais la coupure croissante de la population occidentale avec le monde risque un jour de se retourner contre elle-même.

Thierry Deronne, mars 2014

"Un système meurtrier est en train de se créer sous nos yeux" (Republik)
Une allégation de viol inventée et des preuves fabriquées en Suède, la pression du Royaume-Uni pour ne pas abandonner l’affaire, un juge partial, la détention dans une prison de sécurité maximale, la torture psychologique - et bientôt l’extradition vers les États-Unis, où il pourrait être condamné à 175 ans de prison pour avoir dénoncé des crimes de guerre. Pour la première fois, le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, Nils Melzer, parle en détail des conclusions explosives de son enquête sur (...)
11 
La crise européenne et l’Empire du Capital : leçons à partir de l’expérience latinoaméricaine
Je vous transmets le bonjour très affectueux de plus de 15 millions d’Équatoriennes et d’Équatoriens et une accolade aussi chaleureuse que la lumière du soleil équinoxial dont les rayons nous inondent là où nous vivons, à la Moitié du monde. Nos liens avec la France sont historiques et étroits : depuis les grandes idées libertaires qui se sont propagées à travers le monde portant en elles des fruits décisifs, jusqu’aux accords signés aujourd’hui par le Gouvernement de la Révolution Citoyenne d’Équateur (...)
Appel de Paris pour Julian Assange
Julian Assange est un journaliste australien en prison. En prison pour avoir rempli sa mission de journaliste. Julian Assange a fondé WikiLeaks en 2006 pour permettre à des lanceurs d’alerte de faire fuiter des documents d’intérêt public. C’est ainsi qu’en 2010, grâce à la lanceuse d’alerte Chelsea Manning, WikiLeaks a fait œuvre de journalisme, notamment en fournissant des preuves de crimes de guerre commis par l’armée américaine en Irak et en Afghanistan. Les médias du monde entier ont utilisé ces (...)
17 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.