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Ces armes sont interdites lors d’un conflit armé selon les conventions internationales.

Gaz lacrymogène, une passion française

Au commencement fut l’usage militaire. Puis d’un théâtre des opérations (Guerre de 14-18) à d’autres (conflits coloniaux dans les années 20), puis d’un type de combat à l’autre, les gaz lacrymogènes sont devenus l’arme de première intention des États dans le maintien de l’ordre établi.

Cette arme a comme vertu première d’être duale : elle assure « en même temps » la dispersion et la dissuasion collectives.

Si le terme « lacrymogène » n’apparaît qu’en 1915 (cf. Le Robert), il y a eu en France une « commission secrète sur des substances puantes » en 1905. En 1912, l’armée et la police adoptèrent un produit suffocant (l’éther bromacétique, classé dans la catégorie des substances corrosives – non interdites par les conventions de La Haye de 1899 et 1907). Contrairement à la version officielle, la guerre chimique n’a pas commencé le 22 avril 1915 à Ypres avec l’armée allemande, mais avec l’armée française dès 1914. Mais comme l’Histoire est toujours écrite par les vainqueurs (malheur aux vaincus !), c’est la date d’Ypres qui a été retenue. (cf. 1)

Dans l’Humanité du 30 avril 1920, on pouvait lire : «  Protestation – La Commission administrative de la C.G.T. proteste contre les mesures terroristes prises par le gouvernement, d’accord avec les autorités militaires, mesures dont l’objet n’a jamais été justifié. Elle constate que ces mesures, qui arment le bras du soldat contre ses frères de travail procèdent aussi bien du sentiment de haine que de raisonnements ridicules. Le mal dont souffre notre pays ne sera pas amélioré par des gaz lacrymogènes, et des bombes asphyxiantes. »

‘‘Dans son numéro du 6 novembre 1921, la revue Gas Age-Record dresse un portrait extasié du général Fries. On peut y lire que le « chef dynamique » du CWS [ Chemical Warfare Service, service de la guerre chimique des États-Unis] a « étudié de près la question de l’usage du gaz et des fumées pour affronter les foules et les sauvages. Il est sincèrement convaincu que lorsque les officiers de police et les administrateurs coloniaux seront familiarisés avec le gaz en tant que moyen de maintenir l’ordre et de protéger le pouvoir, les désordres sociaux et les insurrections sauvages diminueront jusqu’à disparaître totalement. (...) Les gaz lacrymogènes paraissent admirablement appropriés pour isoler l’individu de l’esprit de la foule. (...) L’un des avantages de cette forme adoucie de gaz de combat tient au fait que, dans son rapport à la foule, l’officier de police n’hésitera pas à s’en servir ». [...] L’engouement pour les gaz lacrymogènes sur un marché qui, jusque-là, ne connaissait que la matraque et le fusil doit beaucoup à cet art de réconcilier les antagonismes. Le gaz s’évapore. La police peut enfin disperser une manifestation avec « un minimum de publicité négative », sans laisser dans son sillage du sang et des ecchymoses. Au lieu d’être perçu comme une forme de torture physique et psychologique, le « lacrymo » s’impose dans les esprits comme une forme « humaine » de violence d’État. ’’
(Gaz lacrymogène, des larmes en or, Anna Feigenbaum, Le Monde diplomatique, mai 2018, cf. note 2)

Dans l’Humanité du 25 septembre 1921, on trouvait, sous le titre «  Les grèves de la Virginie – les gaz asphyxiants contre les ouvriers », le texte : « Ce qui s’est passé en Virginie occidentale est d’une extrême gravité. Les journaux bourgeois ont évidemment essayé d’étouffer l’affaire ou de la réduire [...] Les mineurs qui avaient pris possession des mines s’étaient retranchés sur leur position, et le gouvernement employa pour les réduire tous les moyens les plus perfectionnés de la technique militaire. [...] C’est ainsi qu’ils n’hésitèrent pas à faire jeter par leurs aéroplanes des bombes de gaz lacrymogènes et asphyxiants qui firent de nombreuses victimes. »

De même, dans l’Humanité du 30 juillet 1932, on pouvait lire : «  C’est à l’aide des tanks, mitrailleuses et gaz lacrymogène que la bourgeoisie américaine a répondu aux demandes des anciens combattants assemblés à Washington. »

Dans le Figaro du 10 février 1933 : «  L’utilisation des gaz de combat dans la garde nationale américaine – L’histoire de la garde nationale aux États-Unis montre qu’une grande partie de son activité a été utilisée par le gouvernement pour le maintien de l’ordre. [...] Pour disperser la foule et briser dans l’œuf les émeutes, l’emploi des gaz lacrymogènes apparaît d’une efficacité certaine. Aucune foule ne peut résister au gaz lacrymogène, et les manifestants sont obligés de céder rapidement le terrain et de chercher leur protection dans la fuite. Pour désagréable qu’il soit, le gaz lacrymogène n’est pas dangereux, il ne tue pas et ne peut occasionner d’infirmités durables. Son emploi judicieux évite d’avoir recours au tir des armes à feu. C’est donc un moyen de combat expéditif, peu coûteux, inoffensif et sûr. »

« Il ne tue pas », c’est vite dit ! Dans un milieu confiné, si.

Il « n’est pas dangereux », cela reste à voir sur le long terme.

Dans la «  Notice au sujet de la protection contre les gaz asphyxiants » de 1916 (disponible sur gallica.bnf.fr) : « Il est bon de faire observer ce qu’a de schématique la classification des gaz [ gaz suffocants ou asphyxiants, gaz toxiques, gaz à actions localisées sur le revêtement cutanéo-muqueux – gaz lacrymogènes]. Ainsi le chlore agit surtout sur les voies respiratoires, mais il est également dans une certaine mesure lacrymogène. Les lacrymogènes sont tous irritants pour les voies respiratoires. »

Dans « Le journal des veuves de guerre  », juin 1930 : « Gaz asphyxiants, gaz vésicants, gaz irritants, gaz lacrymogènes, gaz sternutatoires, tous ont chacun une action particulièrement nuisible sur l’organisme et les intoxiqués, même ceux qui seront en apparence les moins touchés, pourront être considérés comme de grands malades ayant perdu à tout jamais leur santé. »

L’emploi du terme « gaz lacrymogène » n’est pas neutre, n’est pas anodin : cela fait presque penser à des gaz hilarants mais pas drôles. Or les agents chimiques irritants se trouvent sous forme de gouttelettes et non de gaz ; le composant utilisé en France est le 2-chlorobenzylidène malonitrile ; il y a un soupçon de présence de cyanure dans le sang des gazés (ce poison ne reste détectable que quelques dizaines de minutes). Donc, pas drôles du tout avec vomissements, perte de connaissance, désorientation, brûlure de la peau à la clé !

Le plus surprenant dans tout cela, le plus terrifiant même : ces armes sont interdites lors d’un conflit armé selon les conventions internationales, mais légales pour le maintien de l’ordre.

En France, les autorités ont poussé le vice jusqu’à interdire aux manifestants le port de protection individuelle (lunettes de plongée, masques) : c’est assurément la marque d’un gouvernement progressiste qui utilise, de manière profuse et sans scrupules (dosage du gaz 25 fois plus élevé qu’aux États-Unis, 5 fois plus qu’au Royaume-Uni), les produits du passé, mais en changeant les règles à son avantage !

Un lanceur d’alerte, Alexander Samuel, biologiste, qui s’est intéressé, de trop près, au cyanure dans le sang des manifestants gazés a eu droit à sa petite garde à vue. «  La communauté scientifique considère l’empoisonnement au cyanure à partir de 0,5 mg par litre de sang et sa dose mortelle à 1 mg. Parmi les personnes testées, deux affichent des taux voisins de 0,7 mg par litre.  » (Humanité du 5 novembre 2019). Avec ce gouvernement, peu avare en mesures arbitraires, mener des recherches, c’est déjà suspect.

Comment faire reconnaître, en cas de séquelles, son statut de victime ? Comment prouver dans quelques années, qu’untel a été gazé lors d’une manifestation ? Alors que les victimes de l’amiante ont déjà toutes les peines du monde pour avoir gain de cause.

Le gaz lacrymogène reste donc une passion française. Une violence d’État parfaite comme il est des crimes parfaits sans traces.

Au fait, le premier sens de passion, c’est souffrance. C’est pourquoi il n’y a pas et il n’y aura pas d’étude épidémiologique sur les manifestants et les gardiens de la paix.

PERSONNE
Illustration : La guerre – Otto Dix http://www.androgon.com/24525/kultur/otto-dix-der-krieg

(1) Pour les détails, lire : http://www.guerredesgaz.fr/these/Introduction/introduction.htm
(2) https://www.monde-diplomatique.fr/2018/05/FEIGENBAUM/58627

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