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Envoyé spécial du Grand Soir en Chine.

2- Ce que j’ai vu au Xinjiang.

Le Xinjiang est la plus grande province de Chine. Elle représente à elle seule un sixième du territoire chinois. Sa superficie est de 3 fois celle de la France. Elle est autonome et peuplée de plusieurs ethnies dont les plus importantes sont les Ouïghours, les Hans (que nos médias appellent parfois « les Chinois » (comme d’autres diraient « les Corses » et « les Français », ou : « les Basques » et « les Français »), les Kazakhs, les Kirghiz, les Mongols, les Tadjiks…

Les envahisseurs

L’ethnie Han est la principale des 56 ethnies présentent en Chine : Bien que son poids par rapport aux autres ethnies ait baissé du fait de la politique de l’enfant unique qui ne s’appliquait pas aux autres ethnies (la vitesse d’augmentation des minorités ethniques est huit fois plus grande que celle de la population Han), elle constitue encore plus de 90 % de la population chinoise. C’est la plus grande ethnie du monde. Du coup, « ils sont partout » : sur le territoire chinois et même à l’étranger où la diaspora (plusieurs dizaines de millions de personnes) se remarque en Asie, en Amérique, en Europe, en Afrique, en Océanie.

Attendez-vous à apprendre (si vous ne le saviez déjà) que les Hans phagocytent le Tibet, le Xinjiang et, demain (vous verrez), tout autre région chinoise qui pourrait apparaître à l’Occident comme un talon d’Achille à entailler par l’exacerbation des nationalismes ou des fanatismes religieux, pour freiner la croissance d’un pays où commence à sonner le glas d’un monde unipolaire dont le symbole est un casque de militaire US.

Que des centaines de millions de Chinois Hans se croient partout chez eux en Chine au lieu de s’entasser dans leurs provinces d’origine ou dans Pékin est un scandale que comprennent parfaitement les braillards français du « On est chez nous ! ». Pour ma part, Toulousain, j’ai du mal à ricaner avec les autochtones qui lancent des catégoriques « Parisiens têtes de chiens, Parigots têtes de veaux ! » (1) car je ne saurais oublier l’accueil réservé à ma famille espagnole, ni le nombre de fois où je fus traité d’Espingouin et invité à traverser les Pyrénées dans l’autre sens.

Culture, langue, religion ouïghoure

Si j’en crois nos médias et tous les intellectuels attendris par le pacifisme légendaire des USA et par son respect de ses minorités noires et latinos, le Xinjiang, comme le Tibet, sont deux régions (des colonies ?) où Pékin a éradiqué la culture et la langue et où la religion est entravée ou punie. De plus, ici comme ailleurs, les travailleurs seraient soumis à des conditions de travail moyenâgeuses ou esclavagistes.

Du coup, les 40 journalistes de 20 nationalités conviées à découvrir la région ont été trimbalés en des lieux infirmant ces allégations : écoles secondaires, école coranique, écoles de danses, école de musique, récital de chant et de musique ouïghoures, spectacles de danses, ateliers de fabrication d’instruments de musique ouïghoure, ateliers d’artistes, usines, bazar, mosquée…

Mon idée est que, ou bien les organisateurs ont multiplié les « villages Potemkine » (2) ou bien les coutumes et la langue ouïghoures sont mieux préservées que ne le sont chez nous les coutumes et nos langues régionales. Quant à la religion, en regardant nos églises vides et désormais fermées à clé dans les villages de France, on la voit plus vivace au Xinjiang. J’ai du mal à admettre que le droit pour les jeunes filles d’aller à l’école et de s’y asseoir auprès de garçons, pour les femmes de sortir seules et non voilées, de conduire des scooters, de se maquiller, de se chausser de talons hauts, constitue une attaque contre une religion. Si c’est le cas, j’approuve l’offensive. Si des religieux ouïghours y voient une violence aussi intolérable que celle subie par nos catholiques quand leur fut imposée au forceps la loi sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat, je ne saurais m’en attrister.

L’obstacle de la langue.

Plusieurs des journalistes du groupe parlaient chinois, ce qui favorisait pour eux le dialogue. Parmi eux, un Belge polyglotte, Jan Jonckeere qui écrit des articles en flamand, mais qui parle aussi anglais et français. Sa compagnie et son savoir m’ont été précieux. Je bénéficiais aussi du concours de Lico, une jeune interprète ayant vécu 3 ans à Grenoble. Cependant, elle devait parfois passer par une journaliste Kazakh qui parlait le ouïghour. En effet, il n’est pas rare de rencontrer des ouïghours qui ne parlent pas le mandarin. Bref, le cheminement des questions était parfois : français, mandarin, ouïghour, voie inverse pour les réponses. On frôlait le « cadavre exquis ». Il ne faut pourtant pas surestimer les possibilités d’enfumage dans ce type d’échange. Des indices alertent, comme une réponse interminable à une question simple. Dans ces cas, il suffit de reposer la question à d’autres ou ailleurs.

Les usines de confection de vêtements.

Nous entrons dans une « Zone économique » comptant 50 entreprises dont 26 entreprises de confection. Nous en visitons quelques-unes. Nous avions les mêmes chez nous avant que l’industrie textile disparaisse.

Dans toutes, ce sont des salles immenses avec des dizaines d’ouvrières assises derrière leurs machines à coudre alignées en longues rangées. Dans certaines, elles sont tête-bêche, ce qui leur permet de se parler et de se voir d’un poste à l’autre. Elles travaillent 7h30 ou 8 heures par jour (selon l’entreprise), 6 jours par semaine. La pause méridienne est d’1h30. On voit aussi, mais très minoritaires, des hommes affectés aux mêmes tâches. Ici on fabrique des parkas et des joggings qui seront importés au Canada et aux USA, là des gants, etc. Dans un atelier de fabrication de revêtement pour sièges de voitures, entièrement manuel, des femmes, pas très jeunes, têtes nues, s’activent. Elles sont payées aux pièces (35 yuans) et peuvent gagner jusqu’à 1400 yuans par mois. Un yuan vaut 0,135 euros, mais ça ne veut pas dire grand-chose.

Des employées nous disent que l’installation de ces usines, en partie financées par le gouvernement, leur a permis d’augmenter leur niveau de vie et de supporter les frais de scolarité d’un enfant à Pékin. Volubile, une ouïghoure (41 ans), chef d’une entreprise où l’on fabrique des survêtements, raconte qu’elle n’a fait aucune étude, que le gouvernement l’a aidé à monter son affaire qui emploie à présent 80 villageoises payées 1500 yuans, que son salaire à elle est de 2500 yuans, ce qui l’aide pour, avec des bourses, payer des études à son fils à Cambridge. A raconter la saga de cette réussite inespérée, elle finit par pleurer d’émotion, ce qui provoque la mise en marche des caméras des journalistes qui ne sauraient manquer cet instant fort (à droite sur la photo ci-dessous, mains jointes).

Les congés payés sont réduits aux congés pour fêtes nationales, religieuses, événements familiaux. Les salaires, dans beaucoup d’usines, vont de 800 yuans par mois pour les débutants à 1000/1500 pour les autres.

Dans la forêt des employées, il nous est possible de parler avec qui l’on choisit, hors de la présence de contremaîtres et de leur poser des questions, même celles que l’on ne pose pas en France (combien gagnez-vous ?). Il est facile de juger de la sincérité de nos interlocuteurs en confrontant leurs réponses à celles données dans des usines différentes pour les mêmes questions.

Ma formation d’ergonome, qui consiste à arracher en douceur aux opérateurs des informations qui ne sont pas spontanément celles qu’ils souhaitent livrer m’est utile, ainsi que pour jauger les conditions de travail (rythmes, contraintes, cadences, postures, ambiances sonore, lumineuse, thermique…).

En résumé, ce n’est pas l’épanouissement par le travail. On s’en doutait. Pour avoir oeuvré pendant des années en centre de tri postal, à trier des lettres à la cadence imposée de 500 au quart d’heure, de 20 h à 6 h du matin, je relativise. Mais le travail de trieur donnait droit à des congés payés et la semaine de travail nocturne se limitait à 36 heures.

A ce point de mon récit, j’ai comme l’impression que je n’apporte rien de bien original sur le sort des salariés chinois. Peut-être aurait-on aimé que j’aie vu des enfants dans les usines. Ce ne fut pas le cas. Les jeunes que j’ai rencontrés étaient dans des écoles et je vous dirai dans un autre article ce qu’ils y font et qui nous a ébahis.

Maxime Vivas

NB. Anecdote hors sujet, mais pas tout à fait.
Mon fils aîné qui forme des formateurs et qui attend d’eux qu’ils soient informés, s’amuse à leur poser 3 questions :
1- Citez 3 présidents des USA (les élèves en citent sans effort 4 ou 5).
2- Citez le nom de cette vedette de téléréalité qui a poignardé son compagnon (la classe clame en chœur : Nabilla !).
3- Donnez-moi le nom du président chinois et celui du président indien (silence de mort).

Xi Jinping et Pranab Mukherjee dirigent deux pays où vit un tiers de l’humanité.
Jouez à ce petit jeu avec vos amis pour une mise en bouche avant d’aborder la question des médias et de l’information.


(1) Note pour le traducteur ouïghour (au cas où) : second degré, esprit français.

(2) L’expression « villages Potemkine » vient d’une légende qui veut que des façades de carton-pâte aient été érigées en Russie sur le passage de l’impératrice Catherine II afin de lui cacher la pauvreté des villages. Hergé s’en est inspiré sans plus de recul dans « Tintin au pays des soviets » pour montrer que les usines russes étaient des trompe-l’œil.

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