Le problème de la majorité des gens ici n’est pas que leur manque de conscience politique. De nombreuses personnes ont compris le fond du problème même si elles n’en ont qu’une conscience limitée. Le problème est qu’elles sont fatalistes, elles partent du principe que de toute façon "Ils font ce qu’ils veulent".
Pour moi, c’est un problème religieux. Je ne connaissais pas les écrits de Wilhelm Reich avant maintenant, et ce que j’en ai lu me conforte dans cette certitude. Une preuve supplémentaire est pour moi le fait qu’en Amérique latine, ils ont eu des théologiens de la libération alors qu’ici, tous les curés que j’ai rencontré qui avaient des sympathies pour cette forme de religion proche du peuple ont défroqué. Ils font aujourd’hui tout autre chose que de s’occuper de religion.
C’est un problème religieux car le fatalisme de ceux qui ont compris mais ne font rien est similaire à celui de nos religions, qui toutes, nous privent de notre transcendance au nom de leurs dogmes de base pour la donner aux dieux (version occidentale) ou la jeter aux oubliettes (version confucianiste). L’introduction de tous les livres religieux ne commence pas pour rien par nous demander de renoncer à tout esprit critique. En occident, les religions organisées nous promettent une vie meilleure dans une hypothétique vie après la mort ou après l’apocalypse. Dans le reste du monde, c’est pour une hypothétique autre vie. Bref, c’est jamais ici et maintenant.
Avec les théologies de la libération, il est possible de concilier la transcendance humaine avec l’ici et maintenant, et il est donc possible pour les croyants de récupérer leur transcendance. La notion de transcendance humaine est la partie des oeuvres de Marx qui m’intéresse le plus car c’est en cela qu’il est révolutionnaire. En effet, sans une philosophie révolutionnaire, il est difficile de créer des systèmes économiques révolutionnaires. Donc, la critique du capitalisme comme la théorie de socialisme scientifique sont rendus possible par la philosophie de Marx.
Marx remplace une philosophie de l’être (je pense donc je suis) par une philosophie de l’acte (je travaille donc je forge mon avenir). Pour Marx, le travail n’a aucun sens s’il n’est pas précédé ici et maintenant d’une réflexion pour en définir le but en toute connaissance de cause. Avec cette philosophie, Marx redonne non seulement un sens au travail de l’homme, mais il lui permet aussi de s’accaparer la transcendance car il n’y a pas de meilleure définition de la transcendance que forger son avenir par son travail conscient.
Et alors que jamais personne n’a serré la pince à dieu, nous somme tous capable de travailler pour forger, ici et maintenant, un monde meilleur.
Je dois aussi constater que bien des militants n’ont pas compris cela. Un exemple simple, le slogan "Un monde meilleur". Un monde meilleur dans une hypothétique autre vie ou tout autant hypothétique vie après la mort ne m’intéresse pas. Pour faire suite à Mai 68 et son slogan utopique "Sois raisonnable, exige l’impossible", il s’agit de demander avec autant de fermeté quelque chose qui est possible si nous nous y mettons tous : "Un monde meilleur, ici et maintenant !".
Malheureusement, ce n’est pas aussi simple et l’occident n’a pas encore compris que notre rapport avec la nature conditionne tous les rapports humains, qu’ils soient économiques, politiques ou sociaux. Chavez dans son programme électoral parlait d’éco-socialisme, terme que nos médias capitalistes se sont bien gardés de reprendre. Terme que même beaucoup de marxistes ignorent avec la même vigueur, Pour les capitalistes, le rapport de l’homme avec la nature est un rapport d’exploitation. Pour la majorité des marxistes occidentaux, le rapport de l’homme avec la nature est une lutte. Comme ce rapport conditionne tous les autres, nous nous retrouvons avec un modèle basé sur l’exploitation de tous par tous et un autre modèle basé sur la lutte de tous avec tous.
Dans les deux cas, nous avons besoin d’une théologie de la libération afin que l’homme puisse retrouver son véritable rapport avec la nature et retrouver ainsi sa véritable place dans la nature. L’être humain ne fait pas seulement partie de la nature, il en est également dépendant car c’est sa seule source de vie. Et aucune technologie, ancienne ou moderne, ne pourra changer cet état de fait, et encore moins des technologies dont le but est d’enrichir leurs promoteurs. Cette théologie de la libération est hyper simple : il s’agit de poser le respect inconditionnel comme base du rapport de l’homme avec la nature. Nous pourrons alors luter pour réaliser une société dont tous les rapports, qu’ils soient économiques, politiques et sociaux soient basés sur le respect, préalable indispensable pour pouvoir avoir la solidarité.
Et il s’agit bien d’une théologie car là aussi c’est un problème religieux. Ce sont les mêmes dogmes de base des religions organisées qui, en créant des qualités superstitieuses aux choses (bien, mal, yin, yang, ...), rendent possible de créer la hiérarchie qui contient et justifie toutes les autres, la hiérarchie entre leurs dieux, les hommes et le reste de la création. Cette hiérarchie est l’origine directe du racisme primordial de l’homme, cette prétention qui lui fait se considérer comme un être supérieur à la nature.
D’abord, les choses sont. Point ! Un caillou est un caillou. Et comme l’être humain est un être transcendantal, il a le choix de faire ce qu’il veut avec les choses, le bien, le mal, et même le gris et toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Il peut construire un bout de maison avec le caillou ou le jeter sur la tête de son voisin. Aujourd’hui, les maîtres du monde passent leur temps à jeter des cailloux. Il faut que cela cesse ici et maintenant.
Sur ce point du rapport de l’homme avec la nature, l’Amérique latine a la chance que tous ses peuples premiers n’ont pas été exterminés. De plus, de nombreux autres systèmes de valeurs ont été importés lors des colonisations et ses migrations plus ou moins forcées de populations de toute la planète.
Le système de valeur des peuples animistes est à l’opposé du nôtre. Pour nous, toutes les choses et tous les êtres suivent et réagissent aux mêmes lois physiques, et c’est l’intériorité d’un être qui le différencie des autres êtres et des choses. Pour ces peuples, l’intériorité (âme) de presque tout est toujours la même. Ce qui différencie les choses et les êtres est leurs corps physiques différents. C’est le corps physique et ses possibilités qui fait que le monde d’un caillou n’est pas le même que celui d’un hibou, d’un chat, d’une araignée ou d’un être humain. Il faut aussi comprendre que certains de ces peuples, par exemple les Jivaros Achuar, ne construisent pas de villages mais des maisons séparées par 30 ou 40 kilomètres de forêt équatoriale. Leurs voisins sont donc des non humains.
Leur cosmologie est complétement différente de la nôtre. Chez les Laikas, il ne peut pas y avoir de dieu supérieur car toutes les intériorités sont identiques. Ils croient en l’âme, c’est la partie supérieure de l’esprit qui habite le monde supérieur. Suite à des traumatismes, des morceaux d’âmes peuvent aller se réfugier dans le monde inférieur. Un concept comme l’enfer est donc totalement incompréhensible pour ces peuples, car pour eux, c’est le refuge des morceaux d’âme (esprit) perdus, l’endroit où ces morceaux d’âme peuvent être en paix. Ils considèrent que le temps n’est linéaire que dans le monde physique, ce qui est une notion de physique quantique, et les chamanes ont développés des techniques de guérison par la méditation.
Ils soignent l’esprit pour soigner le corps. Pour ce faire, ils utilisent deux chakras supplémentaires qui correspondent au monde inférieur et au monde supérieur de l’esprit. En faisant voyager le malade dans ces mondes, il (le malade) peut revivre ce qui a causé la perte de ses morceaux d’âme et les récupérer, pour ensuite accéder ainsi au monde supérieur de l’esprit et guérir. Des scientifiques occidentaux commencent à s’intéresser à ces pratiques. Voir par exemple le livre "L’âme retrouvée" de Roberto Villoldo.
Dire qu’il faut protéger la nature car elle pourrait contenir des molécules utiles à l’industrie est dangereux car cela implique que s’il faut la protéger, c’est que l’humain a été séparé de la nature.
Il faudrait dire qu’il faut conserver la nature et sa biodiversité pour elle, cela doit être un but en soi parce que c’est mieux de vivre dans un monde varié que dans un monde uniformisé.
L’étude du mode de vie des Jivaros Achuar est très intéressante sur le plan sexuel. Les Jivaros régulent leur vie sexuelle par la satisfaction de leurs pulsions. Nous la régulons par la morale. Il y a deux conséquences. D’abord si le matriarcat est la règle chez les Jivaros, il n’y a pas plus d’homosexuels ou de sexualité récréative que chez nous. Ensuite, il n’y a pas de frustrés chez les Jivaros contrairement à chez nous. (Voir les travaux de Wilhelm Reich sur la psychologie des masses et ceux de William Prescott sur l’origine de la violence).
Ce problème sexuel de notre société qui est une véritable fabrique de frustrés violents, et ce n’est pas le porno qui va changer la donne, nous ramène encore aux religions organisées, cette fois aux tabous qu’elles véhiculent dans la société.
Outre l’animisme et notre vision naturaliste, il y a encore deux autres familles de représentation de la réalité sur cette planète, le totémisme (Australie) et l’analogisme (Chine, l’Europe jusqu’à la Renaissance ou les anciennes civilisations du Mexique et des Andes) (voir les travaux de Philippe Descola). Ceci pour dire que si l’humanité survit au XXI siècle, ce qui n’est pas gagné, il est impossible, vu la grande diversité de façons de voir les choses, de prédire ce que sera son futur. En même temps, cette diversité est un signe encourageant pour l’avenir. L’histoire n’est pas figée, et ce n’est pas parce que les capitalistes donnent dans l’hypnose collective en clamant la fin des idéologies qu’ils ont raison. En fait, s’ils disaient vrai sur ce point, le capitalisme serait mort avec les autres idéologies.
http://www2.cnrs.fr/presse/communique/2787.htm
http://fr.wikipedia.org/wiki/Philippe_Descola
Philippe Descola : luttons contre le prêt à penser