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10 commentaires

Lionel Jospin a-t-il existé ?

Nouvelobs.com (qui m’a censuré, mais ceci est une autre histoire) a eu récemment la bonne idée de demander à ses lecteurs de gauche qui n’avaient pas voté Jospin en 2002 s’ils regrettaient leur décision.

Comme je n’ai aucun regret, j’ai justifié mon choix en deux lignes. Je voudrais en dire un peu plus ici et me souvenir d’un passé récent.

Lorsque Jospin a déclaré, plutôt gêné, que son projet (les responsables de gauche n’ont plus de programme mais des projets) n’était pas socialiste, j’ai eu quelque peine à déglutir, sans pour autant être surpris. Durant ses cinq années au pouvoir, l’ancien trotskiste dur avait constamment manifesté son allégeance à ce qu’on appelle pour simplifier « l’Europe libérale », l’Europe inféodée aux désirs de " gouvernance " du grand actionnariat, des banques, en un mot des marchés. Par une casuistique bien à lui - qui finit par l’entraîner au fond du trou - Jospin avait déclaré être pour l’économie de marché, mais contre une « société de marché ». Ce vieux renard lambertiste savait pertinemment que ces deux expressions étaient parfaitement synonymes.

Avant cela, en 1997, la fermeture de l’usine Renault de Vilvorde - malgré sa promesse pendant la campagne des législatives - avait troublé la campagne législative de 1997. L’annonce du " plan social " de Michelin à l’automne 1999 provoqua de fortes ondes de choc dans la gauche plurielle et dans l’opinion qui lui était favorable. On comprit dès lors qu’il n’y avait pas plus de volontarisme jospinien que de beurre en broche. Chirac en profita pour manifester (en toute démagogie) sa solidarité avec les ouvriers de Michelin. Le 13 septembre 1999, le Premier ministre socialiste avouait l’impuissance de l’État face aux restructurations et aux drames sociaux. Quinze ans auparavant, Laurent Fabius avait opéré les mêmes choix drastiques contre les sidérurgistes. Entre 1980 et 1990, les " restructurations " coûtèrent 100000 emplois directs à la sidérurgie française, et au moins 100000 indirects. Une casse que l’on évalua alors à 100 milliards de francs. Alors que la sidérurgie était devenue nationale en 1981, l’Europe des marchés avait imposé les exigences du plan du vicomte belge Davignon : arrêt des aides publiques, réduction de la production, suppression de 250000 emplois à l’échelle de l’Europe.

A beaucoup d’enseignants de gauche, mais aussi de droite, le ministre de l’Éducation nationale que Jospin avait choisi donnait la nausée. Cet Allègre qui, en tant qu’enseignant, faisait ses cours quand il avait le temps, voulut, on s’en souvient, « dégraisser le mammouth », faire du Sarkozy avant Sarkozy. Il me fut donné de rencontrer, dans une circonstance privée, sa secrétaire d’État, Ségolène Royal à qui je prédis que Jospin ne pourrait gagner l’élection présidentielle contre les enseignants, à cause d’un ministre qui n’avait aucune considération pour eux. Par solidarité gouvernementale, j’imagine, elle ne souhaita pas engager le débat.

La raison majeure pour laquelle des citoyens de gauche se détournèrent de Jospin fut son programme massif de privatisations, en novlangue jospinienne, des « respirations ». En avril 1997, une déclaration commune PS-PC promettait l’arrêt des privatisations pour France Télécom, Thomson et Air France. Entre 1997 et 2001, Jospin et son gouvernement (ohé Aubry, DSK etc. !) privatisèrent ou ouvrirent aux capitaux privés France Télécom, Thomson Multimédia, le GAN, le CIC, les AGF, la Société marseillaise de crédit, RMC, Air France, le Crédit lyonnais, Eramet, Aérospatiale-Matra, EADS, la Banque Hervet. Jospin et les siens surclassèrent une droite qui but du petit lait.

Jospin se tira (et nous tira) une balle dans le pied en inversant le calendrier des législatives et de la présidentielle. Quoi qu’on pense, le système politique français qui découle de la constitution de la Cinquième république n’est pas présidentiel mais législatif. Faire voter les électeurs pour la présidentielle en premier revenait à personnaliser davantage le pouvoir, à voter de moins en moins pour un programme mais pour une personne, à marginaliser toujours plus le Parlement.

Durant la campagne électorale, une image me choqua particulièrement : dans un bureau, Jospin, debout s’entretenait avec Séguéla, avachi sur une chaise. La campagne du candidat (avec des slogans aussi légers que « Présider autrement une France plus juste ») émanait du cerveau d’une sorte de parrain, d’un publicitaire sarkozyste dans l’âme et non de celui de militants socialistes. Et puis, il y eut - degré zéro de la politique - cette attaque personnelle minable contre Chirac, « fatigué, vieilli, victime de l’usure ». Dans sa tête de tueur, Chirac était frais comme un gardon. Fillon eut beau jeu de qualifier Jospin de « trotskiste haineux et sectaire ».

Je n’avais pas voté pour les socialistes depuis 1985 mais j’étais prêt à leur redonner une petite chance. J’ai voté pour un candidat de la gauche de gauche. Ce que je referai cette fois encore. J’ajoute que je ne me suis pas laissé avoir au second tour de 2002, n’ayant pas rejoint la cohorte bêlante des votes de gauche pour Chirac. Il n’y avait mathématiquement aucun danger d’une victoire de Le Pen.

Dans le fond, Jospin n’a pas existé. La preuve : il n’aura laissé aucune trace dans l’histoire. Dans le sable des plages de l’Ile de Ré, peut-être.

Bernard GENSANE

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COMMENTAIRES  

27/04/2011 23:42 par dominique

Lionel Jospin a trahi la gauche et il est impardonnable mais qui dire des socialistes d’aujourd’hui qui n’ont rien appris, rien de rien ?

Je viens d’écouter le discours de présidentiable de François Hollande, vide et creux en matière d’économie et de politique générale. Il mentionne à peine la mondialisation dont il parle comme d’un petit problème sans importance auquel il faut s’adapter et il ne prononce même pas le mot libre-échange. Il ne mentionne l’Europe que pour regretter son manque d’empressement à constituer un fond de secours pour les pays de l’Europe en faillite. Il ne parle de barrières douanières que pour dire qu’il ne faut pas en mettre à la France et naturellement pas un mot sur les trois guerres néocoloniales de Sarkozy....

Puis il passe à ce qui lui tient vraiment à coeur : ses "propositions" c à d la liste des rustines habituelles qui n’ont jamais servi à rien, baptisées "rêve français" allant encore chercher pour cette expression l’inspiration en Amérique qui pourtant n’a rien à nous offrir d’autre que de nous entraîner dans sa chute si on ne se décide pas à la fuir comme la peste et à fermer l’Europe pour protéger notre économie et arrêter la chute de notre niveau de vie et de nos salaires.

Plus crasse que ça en économie et en politique générale et plus indifférent aux forces géopolitiques tu meurs !

Un peu plus tard un journaliste a démandé à M. Huchon pourquoi les ouvriers votaient FN et M. Huchon, du haut de ses diplômes, de son inculture politique et économique et de la sécurité de son emploi qui ne risque pas d’être délocalisé, a répondu tristement : "c’est parce qu’ils manquent d’éducation, l’école ne fait pas son travail".

Et voilà ce que nous avons comme alternative à Sarkozy. Une bande de socialistes aussi crasses en économie, aussi déconnectés des vrais problèmes des gens et aussi méprisants à leur égard, aussi incapables d’imaginer autre chose que le libre-échange et le libéralisme sauvage...

28/04/2011 08:15 par stella

Les socialistes n’ont retenu aucune leçon, ils sont beaucoup trop déconnectés des français de base et de leurs problèmes quotidiens .
Ils en paieront à nouveau le prix !

28/04/2011 09:34 par Paul Volfoni

Je suis "malheureusement" parfaitement en accord avec votre texte.

J’étais socialiste et travaillais à l’époque à FT. J’avais voté Jospin puis il s’est mis à ouvrir le capital de beaucoup d’entreprises....

Ces gens ont trahi les gens de gauche. DSK, c’est du pareil au même.
Avoir des ouvriers, des employés et cadres heureux dans une entreprise semble être quelque chose qui les dépasse. Le PS est devenu un parti de cadres très supérieurs qui n’arrive même plus à faire semblant d’écouter les gens. Les petits militants ne sont justes bons que pour faire les petits boulots : coller des affiches et approuver leurs décisions comme une caisse enregistreuse...

Si ces "socialistes" sont à nouveau élus, ce sera sûrement avec les voix des gens déçus de Sarkozy.

Je me demande même parfois si les socialistes apprécient encore la démocratie et les gens d’en bas comme le disait si bien Raffarin.
En fait, le problème c’est qu’il n’y a plus de milieu, les gens décrochent de plus en plus et comprennent qu’ils sont en bas malgré leurs efforts.

28/04/2011 10:14 par Monsieur B.

Jospin se tira (et nous tira) une balle dans le pied en inversant le calendrier des législatives et de la présidentielle.

Tout à fait d’accord. Cette idée est certainement la pire chose qui soit arrivé à la France, institutionnellement parlant, depuis 1962 (voir plus bas).

Quoi qu’on pense, le système politique français qui découle de la constitution de la Cinquième république n’est pas présidentiel mais législatif.

Heu... En fait, les choses sont un peu plus compliquées. Il y a eu tromperie sur la marchandise de la part de De Gaulle (avec un "D" majuscule à "De" svp, c’est un nom flamand et non pas une particule, je dis cela entre parenthèses). Dans un premier temps, de 1959 à 1962, la 5ème République a été effectivement un régime parlementaire, avec un président élu non pas par le suffrage universel, mais par un "collège électoral" d’élus et de notables divers et variés. A la suite des évènements de 1962 (indépendance de l’Algérie, tentative d’assassinat du Petit-Clamart), De Gaulle "passa à l’acte" et imposa par référendum l’élection du président au suffrage universel (la dernière fois, cela avait été en 1848, et ce qui suivit, à savoir l’élection de Louis-Napoléon Bonaparte, puis le 2nd Empire, puis la défaite de 1870, avait convaincu les constituants de la 3ème et de la 4ème Républiques qu’une telle élection du chef de l’état au suffrage universel ne pouvait conduire qu’au désastre). L’assemblée nationale riposta en votant une motion de censure contre Pompidou, alors premier ministre ; De Gaulle riposta en ayant l’insolence de renommer illico Pompidou à son poste et de dissoudre l’Assemblée. Depuis cette date, il n’y a eu aucune motion de censure qui ait été votée avec succès à l’Assemblée nationale, ce qui montre bien que nous sommes passés à cette date à un régime présidentiel, où le Parlement n’est plus qu’une simple chambre d’enregistrement.

Depuis 1962, la logique de la 5ème République est bel et bien présidentielle, et cette logique n’a fait que se renforcer avec le temps, pour en arriver à ce que nous connaissons aujourd’hui, où certains ministres n’ont parfois aucun pouvoir réel par rapport à l’Elysée (je pense en particulier à Frédéric Mitterrand, ou même à Raffarin du temps de Chirac, qui était plus un majordome qu’un premier ministre).

Ce qu’il est important de comprendre, c’est que De Gaulle, en 1958, n’a pu obtenir le pouvoir que parce qu’il avait fait semblant de ne pas instaurer un régime présidentiel. Il a attendu le premier moment opportun pour revenir sur sa parole et imposer en contrebande, pour ainsi dire, le régime qu’il avait toujours appelé de ses voeux (cf. son discours de Bayeux en 1947).

Faire voter les électeurs pour la présidentielle en premier revenait à personnaliser davantage le pouvoir, à voter de moins en moins pour un programme mais pour une personne, à marginaliser toujours plus le Parlement.

En effet. C’est le moins que l’on puisse dire. D’un point de vue purement institutionnel et constitutionnel, la France est aujourd’hui un pays moins démocratique que du temps de la 3è ou de la 4è République. Mais cela date de 1962, et non de 2002.

28/04/2011 18:40 par Fald

Les socialistes n’apprendront jamais rien. Ils sont nés du retournement de veste de 1914 et il ne reste rien chez eux de Jaurès. Et ils sont parfaitement incapables de repasser la marche avant.

Huchon accuse maintenant l’école de la montée de l’extrême droite. Manque pas de culot ! En 1945, on a eu droit à la légende de la conjonction des extrêmes, qui ressort régulièrement avec des allusions qui se veulent fines aux "rouges-bruns".

Là encore, les socialistes ne laissent aucun espoir. C’est leur fraude à l’étiquette de gauche qui a fait monter le fascisme dans les années 1920 et 1930, qui l’a fait remonter dans les années 1980, qui a amené Le Pen au 2ème tour en 2002, et qui finira par nous mettre la Marine au pouvoir. (Et maintenant, en plus, ils ont l’aide des Verts !)

Cette complicité objective vient-elle du fait que les fascistes font aussi de la fraude à l’étiquette de gauche ? (N’oublions pas que, sur le papier, le parti nazi était "socialiste ouvrier", en même temps que "national allemand".) En tout cas, quand j’entends tous ces gens qui font mine de s’inquiéter des scores du FN et qui accréditent l’idée que Marine Le Pen aurait des propositions "de gauche" et "laïques", je me dis que je devrais me tenir toujours une valise faite. Mais pour aller où ?

J’arrête là sur ce sujet : Maxime Vivas a déjà dit ce qu’il faut penser du nom de "populistes" qu’on donne à ces partis ultra-patronaux.

Autre fraude à l’étiquette : pourrait-on, entre gens de vraie gauche quoique divers, arrêter de se raconter la légende de Jospin trotskiste ? Je n’ai jamais pu supporter les trostkistes, mais il y a des limites à ce qu’ils méritent !

Jospin a, en réalité, noyauté pour le compte du PS l’organisation qui tenait l’UNEF dite ID dans les années 1970. Sans jamais adhérer à aucune idée plus à gauche que le magouillo-mitterrandisme. A l’époque, les socialistes pouvaient à peine se présenter dans une fac, et le noyautage était leur seul moyen de s’y introduire.

Et ça a marché, d’autant mieux que Jospin n’était surement pas tout seul. La preuve : la facilité avec laquelle l’UNEF-ID est passée du trostkisme au mitterrandisme sans coup férir après 1981.

Un autre indice : de 1972 à août 1977, l’OCI rejetait le programme commun comme trop timide, et après sa rupture en septembre 1977, elle sommait les communistes d’adhérer à la coquille vide que Mitterrand en avait fait. Etrange, non ?

28/04/2011 23:16 par Anonyme

Je suis de gauche et je n’ai pas non plus voté Jospin en 2002 et je crois que nous avons eu raison car après 5 ans de Jospin président la gauche en serait sortie plombée pour de nombreuses années.

30/04/2011 18:09 par kounet

J’ai fait pareil que toi ! En 2002, je n’ai pas non plus voté Chirac pas plus que je ne voterai Sarkosy s’il s’avisait de nous la jouer Marine contre lui !
Je vais voter pour le plus à gauche, qui acceptera de s’engager et qui dira des choses intelligentes contre les marchés, par exemple, juste les mettre au pas .

30/04/2011 22:04 par polochon

Mais vous vous attendiez à quoi de la part des socialistes ? vous avez la mémoire courte. Quand la gauche est arrivée aux affaires en 1981, essayez un-peu de vous rafraîchir la mémoire sur l’attitude de la droite. la fuite des capitaux, un déchaînement contre les mesures sociales ( 5ème semaine de congés payés, retraite à 60 ans, passage de 40 à 39 heures)et puis cette droite qui s’étrangle sur la création de l’IGF (impôt sur les grandes fortunes) et sur l’augmentation des impôts des plus favorisés.
Vous savez très bien que sans sortie du capitalisme une vraie politique de gauche est impossible.

Que ces pseudos-socialos, petits bourgeois friqués sortis de l’ENA vous agacent je peux le comprendre, mais en revenant sans cesse sur les erreurs du passé vous faîtes le jeu de la droite.
Vous n’avez rien à craindre d’une politique de droite de part votre statut social, mais des millions de travailleurs et de précaires en souffrent quotidiennement alors tachez de vous en souvenir.
La gauche ce n’est pas la droite. Votre mauvaise foi vous empêche de rappeler que si la gauche n’avait pas eu le pouvoir, jamais nous n’aurions eu les 35 heures, les jours ARTT, le 5ème semaine de congés payés, l’abolition de la peine de mort, la retraite à 60 ans.
Oui jospin a fait des erreurs graves en privatisant, en baissant même les impôts, mais sa politique n"était pas aussi imbuvable que celle de la droite.
Vous espérez un grand soir qui n’arrivera jamais et par votre attitude stupide, vous allez encore favoriser la victoire de la droite.
La droite devrait vous payer pour l’inestimable service que vous lui rendez !!!.

01/05/2011 09:31 par CN46400

ouais, mais rien sur ce qui se serait passé en 2003 sur le pb irakien avec Jospin à l’Elysée... on n’ose y penser !

01/05/2011 23:49 par ledormeur

et avec tout ça, qu’est ce qu’ils proposent les socialistes pour la politique étrangère ? une seule réponse : l’alignement avec israèl et les USA. belles perspectives pour la gauche. à gerber.

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