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Poutine et nos chers médias

Le jeudi 24 février, sur France 2, après le Journal télévisé de 20 h, j’ai regardé l’émission spéciale consacrée à la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Vladimir Poutine gagnerait à l’écouter en replay car même, par grand froid, il pourra, sans crainte, sortir en petite tenue, ayant, lors de cette émission, "été habillé pour l’hiver"...

Le plateau et la présentation étaient les mêmes que lors de l’émission du 10 février avec Jean-Luc Mélenchon, et les poncifs... les mêmes.

Remarque 1. Les remarques ci-après doivent beaucoup aux observations de mon ami D** (qui se reconnaîtra...). Je lui adresse mes plus vifs remerciements.

Remarque 2. Comme je l’ai dit plus haut, aussi bien les journalistes (Léa Salamé, Nathalie Saint-Cricq) que les intervenants (Pierre Servent, Bernard Guetta, Bernard-Henri Lévy, Nicole Bacharan, Yannick Jadot), se se sont montrés à la hauteur de leur réputation : "ce fou qui est à la tête de la Russie", "Poutine est un dictateur depuis le début" (Bernard-Henri Lévy), "une dérive paranoïaque" (Clément Beaune, rapporté par Léa Salamé), "la criminalité de Vladimir Poutine", "les crimes de la société de mercenaires Wagner en Syrie et au Mali" (Nicole Bacharan), "Poutine est aigri et paranoïaque" (Étienne Leenhardt), "Poutine est un criminel de guerre" (Yannick Jadot), "Poutine est-il un nouvel Hitler ?" (un téléspectateur)...

Remarque 3. Il n’a pas non manqué de déclarations bellicistes : "il faut livrer des armes aux Ukrainiens" (Bernard Guetta), "il y a un esprit munichois" (Nathalie Saint-Cricq). ou bien : "il ne faut pas renvoyer dos à dos l’OTAN et la Russie" (Étienne Leenhardt, selon mon souvenir). Et, enfin, de propositions généreuses : "il faut accueillir les réfugiés ukrainiens". [Et les Syriens ?].

Remarque 4. Les Européens qui s’indignent de la politique de Vladimir Poutine devraient puiser dans leur mémoire pour se rappeler ce qui se passe lorsqu’on humilie un pays. Il y a exactement un siècle, à l’issue de la guerre de 14-18, les alliés vainqueurs dépecèrent l’empire ottoman, ne laissant à celui-ci que sa partie turcophone (réduite à l’Anatolie et à la Thrace d’Europe). Tout comme les Occidentaux, après 1991, démembrèrent non seulement l’ancien "empire" soviétique (les pays satellites), mais poussèrent même leurs pions parmi les anciennes 15 républiques fédérées de l’URSS (pays baltes, pays du Caucase, Ukraine, Asie centrale). Et ils ne firent rien pour empêcher la Grèce de reconquérir de vastes pans de l’Anatolie, dont, évidemment, Constantinople (ville ayant une énorme importance symbolique pour les Grecs). Les Turcs, humiliés et menacés sur leur sol, trouvèrent un homme énergique, un de ceux qui avaient remporté une des rares victoires turques de la guerre (celle des Dardanelles) : le général Mustafa Kemal. Celui battit les Grecs, les refoula d’Asie mineure et fonda la République turque.

Remarque 5. La Grèce, petit pays, fut instrumentalisée contre la Turquie, puis abandonnée lorsque les choses tournèrent mal. Mais elle ne fut pas la seule : à la même époque, les Occidentaux soutinrent la Pologne contre la jeune République bolchévique (en y envoyant même, comme conseiller militaire, un certain capitaine de Gaulle). Puis ce soutien se poursuivit durant toute l’entre-deux-guerres, où, depuis 1936, la Pologne connut un régime autoritaire de droite, aussi anticommuniste qu’antisoviétique (et penchant pour l’Allemagne). La Pologne poussa la France et l’Angleterre à refuser l’offre soviétique de renouvellement de l’alliance de 1914 (qui avait, notamment, permis la victoire de la Marne, puis la victoire tout court). La Pologne refusa de laisser le passage à l’Armée rouge pour un éventuel secours de celle-ci à la Tchécoslovaquie. Et, lors des accords de Munich, en septembre 1938, la Pologne participa au dépeçage de la Tchécoslovaquie (comme d’ailleurs la Hongrie) en annexant la région de Teschen (nom allemand de la région annexée). Résultat des courses : en septembre 1939, lorsque l’Allemagne attaqua la Pologne, la France et l’Angleterre restèrent l’arme au pied. Si, le 10 mai 1940, Hitler n’avait pas pris l’initiative d’attaque, on y serait encore...

Remarque 6. Les Occidentaux reprochent à Vladimir Poutine d’avoir reconnu les deux républiques sécessionnistes du Donbass. Mais qu’ont fait les Occidentaux en reconnaissant, au début des années 1990, les républiques sécessionnistes (notamment la Slovénie et la Croatie), issues de l’éclatement de la Yougoslavie ? Qu’ont-ils fait en reconnaissant l’indépendance du Kosovo ? Qu’ont-ils fait, au Venezuela, en reconnaissant le fantoche Juan Guaido, qui ne représentait que lui-même ?

Remarque 7. Les journaux télévisés sont pleins de reportages de bombardements sur l’Ukraine, avec commentaires apitoyés sur les malheureux Ukrainiens chassés, expulsés, tués. Mais, en 1991 et 2003, lors des deux guerres lancées par les Étasuniens contre l’Irak, je ne crois pas me souvenir que les envoyés spéciaux occidentaux en poste à Bagdad aient manifesté la même empathie envers le peuple irakien. Et s’agissant de l’attaque lancée par Vladimir Poutine (sans déclaration de guerre) et dont s’indignent les médias, qu’ont fait les Occidentaux en Corée en 1950 ? Qu’ont fait les EU au Vietnam au Laos et au Cambodge ? Qu’ont-ils fait dans l’ex-Yougoslavie ? Qu’ont-ils fait au Panama en 1989 ? Qu’ont-ils fait à la Grenade en 1983 ? Et lorsqu’on pointe les exactions (bien réelles) de la société de mercenaires russes Wagner au Mali et en Syrie, oublie-t-on les "affreux" au Congo au début des années 1960 ? Oublie-t-on les sociétés de mercenaires étasuniens, britanniques, etc., qui, en Afghanistan et en Irak, représentaient le deuxième contingent armé après celui des États-Unis ? Oublie-t-on que, lors de la guerre entre la Serbie et la Croatie, ce sont des mercenaires étasuniens qui ont permis à cette dernière de l’emporter ?

Remarque 8. L’invasion de l’Ukraine par la Russie clarifie une situation et met fin à une hypocrisie. Comme je l’ai rappelé dans mes dernières remarques, en décembre 1991, la Russie, État successeur de l’URSS, a subi un affaiblissement comme rarement un pays en a subi (peut-être pas même l’Allemagne en 1945) : la moitié de la population, un quart du territoire, de multiples ressources minières, énergétiques, industrielles, agricoles, la plupart de ses côtes "utiles", la diminution de sa natalité, la hausse de sa mortalité, la désindustrialisation, le pillage de ses cerveaux. Si on imagine la situation inverse (l’URSS a gagné la guerre froide), on aurait toute l’Europe de l’Ouest communiste, plus le Canada et le New Hampshire, le Maine et le Vermont dans le pacte de Varsovie. Les États-Unis ne se sentiraient-ils pas encerclés ? Dans sa situation de faiblesse, la Russie tendait la main à l’Occident et celui-ci avait tout intérêt à l’accepter.

Remarque 9. Au lieu de cela, non seulement les Occidentaux (Étasuniens en premier) ont étendu l’OTAN (alliance agressive créée en 1949, face à une URSS exsangue) en violation de la parole donnée à Mikhaïl Gorbatchev par le chancelier Kohl et le Secrétaire d’État James Baker. Ils l’ont étendu aux pays d’Europe centrale, aux pays Baltes, voire à la Géorgie ou à l’Ukraine. Les EU ont pillé les cerveaux russes en les attirant chez eux. Leurs "ONG" ont fomenté des "révolutions de couleur" dans les pays périphériques de l’URSS, comme en ex-Yougoslavie. En gros, ils ont fait ce qu’ils avaient fait à l’égard de l’URSS dans les années 1930 : pousser l’Allemagne et l’URSS à s’entretuer en évitant d’y mettre les mains (et de n’intervenir que pour ramasser les morceaux). Et en instrumentalisant sans vergogne la Pologne, comme ils instrumentalisent aujourd’hui l’Ukraine. Ils ont procédé ainsi en s’imaginant que les Russes ne s’apercevraient de rien et qu’ils ne réagiraient que lorsque la Russie serait réduite à une vague entité autour de Moscou. Les malheureux Ukrainiens paient aujourd’hui le prix de ces calculs sordides...

Remarque 10 : in cauda venenum. Hier, sur France Info, un journaliste parlait de l’attaque russe en Ukraine. Mais ce n’est pas le terme "russe" qu’il a utilisé, c’est le terme "soviétique". Lapsus révélateur d’une vieille habitude...

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Chroniques de GAZA 2001-2011
Christophe OBERLIN
L’auteur : Christophe OBERLIN est né en 1952. Chirurgien des hôpitaux et professeur à la faculté Denis Diderot à Paris, il enseigne l’anatomie, la chirurgie de la main et la microchirurgie en France et à l’étranger. Parallèlement à son travail hospitalier et universitaire, il participe depuis 30 ans à des activités de chirurgie humanitaire et d’enseignement en Afrique sub-saharienne, notamment dans le domaine de la chirurgie de la lèpre, au Maghreb et en Asie. Depuis 2001, il dirige régulièrement des (...)
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