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Interroger Bachar Al-Assad est-il un crime de guerre ?

Ainsi l’entretien accordé par Bachar Al-Assad à Paris-Match est, par les commentateurs qui disent le juste, assimilé à un crime contre l’humanité. Pour avoir d’avantage fréquenté l’Irak ou la Serbie que la principauté de Monaco, il m’est donc arrivé de devoir donner la parole à des monstres, au nom du droit à ceux-ci de s’exprimer.

Je sais, je sais et connais le refrain de ceux dont la conduite est guidée par le moulin à prières : « pas de liberté pour les ennemis de la liberté ». Et alors. Pour en rester à l’ordinaire, Dutroux, Landru, Petiot ont eu la parole. Sauf erreur de ma part un tribunal érigé à Nuremberg a jugé des nazis dont les crimes défiaient l’imagination ? Et ils se sont exprimés.

Mais, je le répète, j’ai longtemps observé que donner la parole au camp de ceux qui sont qualifiés de monstres vous disqualifie vous-même. Etant en Irak pendant la guerre de 91, pour avoir envoyé mes reportages depuis Bagdad, j’ai essuyé l’aimable surnom de « Saddam Bourget ». Subitement le journaliste qui questionne là où il ne le faut pas est assimilé aux actes et aux idées de celui qu’il interroge. Pour bien marquer qu’il nous est interdit d’entendre sortir les mots de bouches qui ne conviennent pas, pour placer les bornes du juste, le courant médiatique qui définit les élégances, le protocole, a qualifié ces gens-là de « nouvel Hitler ». Constatons en passant que ces nouveaux führer étaient le plus souvent des chefs d’états arabes. La liste a commencé avec Nasser, le « raïs » nationaliste donc à abattre. Puis nous avons dû attendre que Saddam Hussein rejoigne le petit peintre autrichien. Il sera enfin suivi par un chrétien, Milosevic (mâtiné de Staline) puis par Kadhafi. Et le prochain sur cette liste qui facilite si bien le jugement sera Poutine. On notera en passant que des hommes aussi doux que Pol Pot et Khieu Samphan ont échappé au qualificatif de nazi.

Donc Bachar est le nouvel Hitler, celui du moment, et doit donc se taire.
Interdit de séjour à Damas, et depuis trente ans, je n’ai ni faiblesse ni penchant pour l’aimable dynastie des Assad. Je connais leurs prisons, leurs tortures et leurs crimes et celles commises dans leur colonie, le Liban. Pourtant je continue à militer. Militer pour le droit d’écouter même le ridicule ou le pire ; quand « l’homme fort », le potentat, s’exprime. Aux sceptiques je recommande la récente envolée d’Emmanuel Todd lors d’un débat sur Europe 1 : « Pour m’informer je lis les quotidiens anglo-saxons. Si on prend l’exemple de l’Ukraine, les éditorialistes sont alignés sur les positions de l’Otan, mais les journalistes rapportent des faits essentiels que je ne trouve pas dans nos journaux ». Ainsi, l’affaire de l’affaire du gaz sarin, celui qu’aurait utilisé Bachar contre son peuple, est, en France, restée au point zéro. Alors qu’en Grande Bretagne et même aux États-Unis, les confrères ont fait état du doute des experts, comme ceux du MIT qui se sont penchés sur la tragédie, Carla Del Ponte elle-même exprimant les réserves de la commission de l’ONU chargée de l’enquête...

Peu importe, pour que Bachar Al-Assad passe du statut de criminel à celui de monstre, les crimes ordinaires ne suffisent pas, le sarin est nécessaire. Vous aurez noté que quand un gentil pilote américain tue 400 personnes dans un abri de Bagdad, il fait son boulot proprement, c’est-à-dire avec un missile dument tamponné produit par une honnête et très chrétienne entreprise étasunienne. Quand les sbires de Bachar balancent sur les rebelles des tonneaux de poudre, l’affaire devient un crime. Alors qu’il est aussi bien établi, le crime, pour le blond pilote de Bush père que pour celui d’Assad.

Je me souviens, alors sous les bombes de l’OTAN à Pristina, que mes amis de Paris titraient sans sourciller « 100 000 morts au Kosovo ». Chiffre aimablement fourni par l’odieux Jamie Shea, porte-paroles de l’Organisation atlantique, et grand menteur. Heureusement trop tard démenti par la vérité du terrain et de l’histoire.

Bachar Al-Assad n’est pas Hitler mais un bourreau comme les autres, par exemple comme Georges Bush le plus grand criminel de guerre aujourd’hui vivant, avec à son compte la torture à Guantanamo et ailleurs, et les centaines de milliers de morts d’Irak. A ma connaissance de nombreux journalistes ont interrogé ce Bush sans subir le peloton d’exécution de la confrérie. Et personne ne pose cette question après avoir reçu un claque sur l’épaule de la part de Sarkozy, le destructeur d’une Libye devenue le matrice du Djihad.

On va objecter, que cet entretien, celui de Match, n’est que de la « com » »...que c’est Bachar qui choisit le moment et mène le jeu. En est-il autrement ailleurs, quand Delahousse « questionne » Sarkozy, quand Hollande livre le message de son long fleuve pas tranquille face à Pujadas ?

La seule énigme, qui mériterait d’être levée, est celle qui concerne les engagements politiques radicaux de l’homme qui facilité les relations entre Damas et Paris-Match. Mais aller plus loin serait me tirer une balle dans le pied, et entraver le droit des dictateurs à mentir comme tout le monde.

 http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1286187-bachar-al-assad-dans-paris-match-donner-la-parole-a-ce-monstre-n-est-pa
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COMMENTAIRES  

13/12/2014 21:34 par anonyme

C’est quoi cet article ? Ce n’est pas Hitler (faut pas abuser, hein ?) mais on peut le comparer à Bush ou à Sarko sans problème, c’est ça ? C’est complètement idiot. Assad n’est peut-être pas un saint, mais quand même de la à le comparer aux deux guignoles qui eux, ont du sang sur les mains c’est tout de même faire preuve d’un manque cruel de discernement. La destruction de l’Irak, de la Libye, l’ex Yougoslavie sont les preuves malheureuses de la soif sanguinaire des Bush et Sarko.

13/12/2014 23:26 par chb

Voilà un article décapant, venant d’un journaliste du « mainstream », et courageux ma foi.
Il expose (explose) l’hypocrisie habituelle et ébranle la propagande, tout en reprenant finement à son compte les poncifs. Ainsi de l’appellation « dictateur » que Bourget redistribue logiquement à de faux démocrates, ou de l’usage de barils de poudre dont les anti Assad accusent volontiers l’armée syrienne depuis que le tuyau Sarin a crevé.
Car un tonneau de poudre ne portant pas l’estampille Made in (Jesus-loving) USA, il est donc criminel par essence. Mais c’est aussi une arme nettement moins efficace qu’une vraie bombe, et plus dangereuse à déposer au bon endroit, ce qui n’est pas nettement plus condamnable que .

quand un gentil pilote américain tue 400 personnes dans un abri de Bagdad

Merci, et pourvu que nos journalistes osent écrire un peu plus souvent comme ça.

14/12/2014 09:12 par mandrin

@anonyme...c’est surtout une manière de diabolisé le président de la république Arabe Syrienne et par la même l’ armée Arabe Syrienne, de façon encore plus tordue, car en ce qui concerne Bachar el Assad tout est bon pour l’abattre.

Les autres Sarko hollande bush Obama et j’en passe, meurtrier de masse, ne seront jamais inquiétés...tout sera relayé a des allégations par ces même pseudo journalistes pourri jusqu’ a la trogne !

14/12/2014 17:36 par marie-ange patrizio

Monsieur Bourget,
« Quand les sbires de Bachar balancent sur les rebelles des tonneaux de poudre  » :
 les « sbires de Bachar » sont les soldats, conscrits, de l’Armée arabe syrienne, qui défendent leur pays et leurs familles ;
 les « tonneaux de poudre » qu’ils « balancent » permettent justement de cibler au plus près, au moins large, les repères des terroristes : l’Armée arabe syrienne a ainsi délivré le pays rue par rue, parfois maison par maison, sans bombarder massivement –comme son aviation serait en mesure de le faire- des quartiers où étaient et sont encore présents des civils, tenus en otage par les mercenaires terroristes ( jihadistes ou pas). C’est notamment ce qui explique la progression assez lente mais sûre de la libération des zones qui étaient aux mains des « rebelles » comme vous les appelez en utilisant le vocabulaire des agresseurs de la Syrie qui se font passer pour ses « amis ».

« Interdit de séjour à Damas, et depuis trente ans, je n’ai ni faiblesse ni penchant pour l’aimable dynastie des Assad. Je connais leurs prisons, leurs tortures et leurs crimes et celles [ ceux] commises [commis] dans leur colonie, le Liban ».
Monsieur Bourget,
 qu’est-ce qui vous « interdit de séjour en Syrie » ?
 Avez-vous, depuis trente ans, demandé un visa pour aller faire votre métier en Syrie ? Vous l’a-t-on refusé ?
 Doit-on en déduire que vous parlez d’un pays où vous n’avez pas mis les pieds depuis trente ans ?
 Pensez-vous que ce pays n’a pas changé depuis trente ans et, en particulier, depuis les –bientôt- quatre dernières années où il se bat contre une agression redoutable ?
 Avez-vous lu la nouvelle Constitution de la Syrie ?
 Savez-vous que le président al-Assad (« Bachar » comme vous dites, à la suite de Fabius) a été réélu avec des scores de participation électorale à faire pâlir d’envie François, Barack, Angela et tous nos députés, et candidats aux primaires si peu corrompus d’ailleurs ?

« Bachar Al-Assad n’est pas Hitler mais un bourreau comme les autres »,
 Comme qui par exemple ?
 Et en quoi précisément, lui, depuis qu’il est à la présidence de la République arabe syrienne, est-il un bourreau ? Avez-vous, par exemple, lu son discours d’investiture ? Avez-vous, par exemple, puisque vous parlez de ceux qui sont allés l’interviewer, vu la vidéo « les coulisses de l’interview
https://www.youtube.com/watch ?v=zZSU5wBsS-w&list=UUYvQOj-t4u5-QKGB3AuoLjw » où le reporter de Paris-Match donne quelques précisions sur la façon et les conditions dans lesquelles il a été accueilli et reçu par « le bourreau » ?

Monsieur Bourget, pour rester dans le journalisme d’investigation et ne pas tomber dans l’allégation, vous devriez être précis dans vos écrits, et si vous voulez parler de la Syrie, commencez par demander un visa pour aller mettre à jour vos catégories et jugements. Il y a de larges zones maintenant en Syrie où vous ne serez pas « sous les bombes » ni sous les barils de TNT, à moins que vous ne passiez la frontière clandestinement pour aller travailler aux côtés des « rebelles ».
Salutations,
m-a patrizio

15/12/2014 01:34 par Leo Lerouge

Tout à fait d’accord avec les commentaires d’Anonyme, de Mandrin et de Marie-Ange Patrizio.

En effet, mettre sur dos à dos Al-Assad et George Bush ou Sarkozy, ce n’est certainement pas du travail de journaliste d’investigation. Ce ne sont que des insinuations malsaines qui relaient la propagande des grands médias.
Du genre : "he may be a son-of-a-bitch, but he’s our son-of-a-bitch".
Et c’est du mépris gratuit envers Al-Assad, traité de "monstre", de "potentat’" et de "dictateur" avec pour toute explication :
" Je connais leurs prisons, leurs tortures et leurs crimes et celles commises dans leur colonie, le Liban".
Si on nous le dit, il faut le croire sur parole ?
C’est du journalisme, ça ?

15/12/2014 13:43 par JM Bourget

La seule chose qui soit interdite, c’est d’interdire. Libre à tous ceux qui trouvent que la dynastie des Al-Assad est vraiment ce qu’il y a de mieux pour un peuple, et il est vrai qu’aujourd’hui, Bachar Al-Assad est devenu un dictateur du moindre mal. Mais, si vous aviez été à Nhar El Bared en octobre 1983 vous auriez vu les soldats d’Assad bombarder les camps palestiniens. Avant cela, vous auriez vu à Beyrouth ces merveilleuses troupes venir au secours des néo fascistes libanais des "Phalanges" fondées par Gemayel sur le modèle des SA.. Tout cela contre les combattants de gauche, les marxistes et les palestiniens, énumération où les trois tendances peuvent se rejoindre. J’oublie le massacre de Hama, et ce n’est pas parce que les activistes d’alors, les massacrés, étaient Frères Musulmans qu’il ne faut pas s’indigner. J’oublie l’assassinat de Kamal Joublat et les dizaines d’autres au Liban et en Syrie.
Il se trouve que tous mes amis syriens, parce que communistes ou marxistes, depuis quarante ans, ont été contraints de quitter leur pays, la Syrie, après prison et torture. Des gens que, pourtant, vous ne retrouverez jamais dans le camp des "rebelles" et autres stipendiés de Washington.
Quand on pose les Al-Assad en modèle, sauf à se confondre à un bourreau, c’est savoir que ce pouvoir est totalitaire, policier et destructeur. Parlons d’idéologie, même celle du Baas a disparu et avant que ce dernier ne l’étrangle, le maître de Bachar était l’émir du Qatar.
Pour résumer, vos leçons de journalisme vous les gardez pour vous et je vous laisse à votre modèle dont le meilleur allié et défenseur en France, est le Front National.

15/12/2014 18:08 par chb

Bourget utilise les valeurs ’sûres’ (quoique malsaines) de la propagande habituelle, et c’est pénible à lire quand on essaye de rétablir l’équilibre et la vraie info. Pour autant, son plaidoyer me semble accompagner une sorte de changement politique vis-à-vis du terrorisme, et permettre une ébauche de dialogue.
Car voilà qu’un réseau français de recrutement pour le ’jihad en Syrie’ est mis en taule - la nouvelle loi de répression aura au moins cette vertu de freiner les plus sectaires. Et les pétrodictatures font des efforts pour se démarquer des takfiristes et autres rebelles fous furieux. Et Obama semble ne pas favoriser la demande turque de couloirs contre al Assad.
C’est pourquoi j’applaudissais cet article qui me semblait aller dans le bon sens. Mais vous avez raison, Leo Lerouge, Mandrin, M-A P : une vraie honnêteté de la part de la gent journalistique serait nécessaire, enfin. Sauf que les prisons déjà trop pleines ne pourront pas accueillir tous les complices de crimes de guerre ! Comme le président syrien, il nous faudra bien composer avec les affreux.

15/12/2014 20:58 par anonyme

Tiens, on dirait du wikipedia.
« "Il se trouve que tous mes amis syriens, parce que communistes ou marxistes, depuis quarante ans, ont été contraints de quitter leur pays, la Syrie, après prison et torture. Des gens que, pourtant, vous ne retrouverez jamais dans le camp des "rebelles" et autres stipendiés de Washington. »

26/12/2014 02:16 par Ben Voyons

Cette ouverture des colonnes de Paris-Match au président Syrien me semble constituer un signe de plus du rapprochement de la France vers la Russie, après la réunion du 6 décembre dernier entre Hollande et Vladimir Poutine.

Est-ce à mettre en parallèle avec la diffusion du rapport sur l’usage de la torture par les USA.

On dirait que quelque chose change dans les médias main stream donc dans l’équilibre du pouvoir.

A suivre...

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