Le sérieux du fascisme

Zeev Sternhell est un historien des idées et un penseur politique israélien qui s’est attaché à étudier le fascisme. La cohérence de ses thèses et ce qu’elles remettaient en cause dans le paysage de la politique et de la pensée dans la France de l’après-guerre, et beaucoup de grands noms, ne pouvait lui attirer les sympathies. De nombreux historiens à la lecture desquels, hélas ! l’intérêt n’est pas aussi soutenu se sont attelés à sa critique. Il ne sera retenu ici qu’un seul aspect de cette critique : celui de ne pas même avoir donné une définition du fascisme.

Qu’on en juge.

Dans sa dernière publication datant de 2006, Les anti-Lumières, chez Fayard, l’auteur établit que

La déliquescence dans nos sociétés et nos organisations politiques des valeurs universelles que nous devons aux Lumières « franco-kantiennes » ne procède pas de la génération spontanée. Dès le XVIIIe siècle et tout au long des deux cents dernières années s’est édifiée une autre tradition - une autre modernité. Sur une argumentation similaire, elle a fait la guerre aux Lumières. L’une des raisons de la cohérence interne de cette pensée qui s’en prend aux Lumières tient au fait que tous ses hérauts se lisent les uns les autres avec une grande attention. Pour l’historien des idées, leur œuvre constitue un matériau premier, mais en même temps ils sont chacun à son tour interprètes de la pensée de leurs prédécesseurs, historiens des idées, critiques de la culture, philosophes politiques et aussi publicistes de renom...

Le volume qui défend cette thèse fait près de 600 pages dont la lecture est haletante. Non moins d’ailleurs que celle de « Ni droite ni gauche » paru au Seuil en 1983 et réédité, avec d’importants compléments, pour la quatrième fois en 2012. Citons quelques passages glanés dans l’Introduction de cet ouvrage.

[...] Si l’on ne peut imputer à la guerre [la première guerre mondiale] la création du phénomène fasciste, c’est essentiellement parce que le fascisme est à la fois le produit d’une crise de la démocratie libérale et d’une crise du socialisme. Il est une révolte contre la société bourgeoise, ses valeurs morales, ses structures politiques et sociales, son mode de vie. Le fascisme se présente ainsi comme l’expression d’une rupture qui a tous les signes d’une crise de civilisation [...] Il s’agit en fait d’un phénomène possédant un degré propre d’autonomie, d’indépendance intellectuelle.
Fascisme et marxisme ont un point commun : tous deux veulent la destruction du vieil ordre des choses, dont ils sont les produits, pour le remplacer par des structures politiques et sociales différentes. C’est en cela que l’idéologie fasciste est une idéologie révolutionnaire. Même si elle n’entend pas porter atteinte à toutes les structures économiques traditionnelles, même si elle n’entend porter atteinte qu’au capitalisme et non à la propriété privée et à la notion de profit. Dans une société bourgeoise qui pratique la démocratie libérale, une idéologie qui pousse l’exaltation de l’État jusqu’à l’identifier avec la nation et affirme le primat du politique jusqu’à concevoir l’État comme le seul maître de toute la vie sociale et de toute valeur spirituelle, une idéologie qui se conçoit, en dernière analyse, comme l’antithèse du libéralisme et de l’individualisme est une idéologie révolutionnaire. Une idéologie qui préconise une société organique ne peut qu’être réfractaire au pluralisme politique tout comme elle ne peut que refuser les formes les plus criantes de l’injustice sociale.

Viennent ensuite des considérations sur les freins qu’a pu rencontrer l’étude du fascisme.

[...] Admettre que le fascisme était autre chose qu’une simple aberration, un accident, sinon un accès de folie collective, ou un phénomène explicable simplement par la crise économique ; constater que les mouvements fascistes du cru existaient dans pratiquement tous les pays d’Europe, qui n’étaient pas une simple imitation, voire une caricature, du mouvement italien ; convenir qu’un corps de doctrine non moins solide ou logiquement défendable que celui des partis démocrates ou libéraux supportait les bandes armées de Rome et de Bucarest, de Paris et de Londres, de Berlin et de Vienne ; reconnaître enfin que les idées professées n’étaient pas uniquement l’apanage de déchets de la société surgis des bas-fonds des grandes capitales européennes et manipulés par la haute finance internationale eût exigé une révision de toute une série de valeurs, de toute une série de raisonnements. À cela on était rétif.[...]

L’auteur entre maintenant dans le vif du sujet

En ce qui concerne les origines du phénomène étudié, les dernières année 1880 constituent le point de départ qui s’impose. C’est alors qu’apparaissent au grand jour les symptômes essentiels d’une évolution intellectuelle sans laquelle le fascisme n’aurait jamais été capable de prendre corps ; c’est alors aussi que se forme pour la première fois, cette synthèse de nationalisme d’un type nouveau et d’une certaine forme de socialisme. Synthèse dans laquelle aussi bien Georges Valois que Pierre Drieu la Rochelle ou Paul Marion, Mussolini, Gentile ou Oswald Mosley reconnaîtront toujours l’essence du fascisme. Ce sont bien là les années d’incubation du phénomène fasciste. Une analyse de cette époque atteste à la fois son indépendance intellectuelle [celle de la France] à l’égard d’autres mouvements fascistes, et la qualité intrinsèque du fascisme comme catégorie universelle dont relèvent divers mouvements nationaux. Cette période témoigne également de la rapidité avec laquelle a mûri l’idéologie fasciste ainsi que la continuité de cette famille d’esprit dans la France et dans l’Europe du XXe siècle.

Une mise en bouche en guise de conclusion

Certes, jamais, avant 1940, le fascisme en France n’est parvenu à s’emparer du pouvoir : la droite traditionnelle y était suffisamment puissante pour sauvegarder elle-même ses intérêts. Il en est d’ailleurs ainsi partout en Europe : en temps normal, les fascistes ne parviennent jamais à ébranler les assises de l’ordre bourgeois.

Mauris Dwaabala

COMMENTAIRES  

22/12/2013 15:05 par Adrien Lamprouge

Le fascisme est une doctrine réactionnaire qui est née de la bourgeoisie Germano-italienne dont le seul rôle était de détruire l’influence communiste au profit de l’influence nationaliste et revancharde , il n y’a rien à étudier dans le comportement des nazis à par que ce sont des bourgeois et des prolétaire apeuré et attardé qui oeuvre pour anéantir tout sauf la véritable cause actuelles des misères du peuple , le capitalisme.

Le fascisme est aussi une doctrine dont le rôle et de saper l’influence de la gauche révolutionnaire en volant les discours , le vocabulaire et l’aspect populaire des organisations communistes , afin de protéger les bourgeois contre l’influence de la gauche .

Osé appeler un parti "national-socialiste" alors que ce sont 2 concepts totalement ennemis est le meilleur exemple à donner de ce que la droite réactionnaire peut tenter comme coup désespéré pour faire reculer les mouvements révolutionnaire.

22/12/2013 22:08 par Dominique

La Genèse du fascisme remonte au concept même de civilisation. Toutes les civilisations de l’histoire ont méprisé l’autre, ceci car sans rabaisser son semblable à un rang inférieur, il est impossible de justifier moralement son exploitation. Le capitalisme n’est pas différent sur ce point des civilisations qui nous ont précédées.

Si le fascisme moderne remonte à 1880, ce qui le rends possible est le racisme institutionnel, lequel existe depuis que la religion de la première civilisation s’est mise, lors de l’antiquité, à séparer l’homme de la Nature. A partir de là, il est possible de séparer l’esprit de la chair ce qui permet de fabriquer des frustrés qui ne maîtrisent pas leur violence et qui sont insensibles aux discours rationnels.

Dans de tels conditions, les marxistes ne peuvent pas rejeter tous les tords sur les capitalistes mais ils doivent aussi reconnaître leur part de responsabilité dans la montée du fascisme. En effet, ils ont cru, et ils continuent de croire, que faire des discours rationnels suffirait à conquérir les masses à leur cause. Hitler s’est montré bien supérieur à ce petit jeu, il avait compris que les masses ne demandent qu’a être manipulées et c’est ce qu’il a fait depuis le début. Face à cette réalité, il n’y a qu’une issue pour quelqu’un d’intègre : montrer l’exemple. Montrer qu’en faisant les choses d’une autre façon, ça marche aussi bien que de la façon capitaliste.

De plus, il ne faut jamais généraliser en parlant de marxisme. Il y a autant d’interprétations de Marx que de gens qui l’ont lu, sans compter tous ceux qui n’ont jamais rien lu de lui à part quelques citations sorties de leur contexte, mais qui ont quand même leur avis sur la question. J’ai même rencontré un libanais qui avait fait ses études en URSS. Il m’avait dit - Tu peux résumer Marx en une phrase : Plus tu travailles, plus tu t’enrichis. Pour se limiter aux marxistes, certains s’investissent dans toutes les luttes alors que d’autres, au nom de dogmes qui ont prouvé leur incapacité à empêcher la montée du fascisme dans les années 20 et 30, continuent de ne soutenir aucune lutte sous prétexte que ce ne sont que des bourgeoisies ou des impérialismes qui s’affrontent. Certains ont compris qu’une révolution qui joue une classe sociale, celles des ouvriers de villes dans la Russie de Lénine, celle des paysans des campagnes dans la Chine de Mao, contre toutes les autres, ne peut qu’échouer sur le long terme, et ils font appel aux peuples. D’autres continuent de nier l’existence des peuples, exactement comme les sionistes, et à vouloir répéter l’histoire et précipiter une classe sociale non pas contre la seule bourgeoisie capitaliste, mais contre toutes les autres.

L’union fait la force. Ce que je crois est que discuter c’est bien, mais il arrive un moment où il faut mettre ses divergences d’opinions de côté et se focaliser sur la pratique. Qu’est-ce qu’on peut bien faire ensemble pour faire avancer le schmilblick ? Ceci surtout que si un des buts recherchés est réellement de donner le pouvoir de décision au peuple ou aux ouvriers, ce sont à eux que la décision finale de la politique à suivre appartiendra. C’est pour moi le point fondamental sur lequel les marxistes de chez nous ont encore un gros travail à faire, il y a beaucoup de divisions dans la gauche progressiste, et ces divisions l’empêche souvent de se focaliser sur la pratique, ce qui fait le jeu des fachos. Ce qui m’énerve le plus chez certains marxistes est leur propension à critiquer les mouvements des autres, au lieu de dire tu te bats pour ça, je me bats pour ça, notre ennemi commun est le capitalisme, que pouvons-nous faire ensemble ?

La communication est au vivre ensemble ce que le racisme est au diviser pour régner. Nous ne serons jamais d’accord sur tout, mais il y a quand même bien des points sur lesquels nous pouvons travailler ensemble.

23/12/2013 16:24 par gérard

en temps normal, les fascistes ne parviennent jamais à ébranler les assises de l’ordre bourgeois.

Mais rien n’est moins sûr !
C’est de la plus haute importance de comprendre (et d’accepter surtout) que le concept de mettre tout le monde dans un même panier : ordre bourgeois, Système, extrême droite et fascisme est en grande partie (pas totalement)....faux !
- Ordre bourgeois & Système ne font pas forcément bon ménage : le Système a pour objectif d’étendre son pouvoir par delà les frontières et l’ordre bourgeois peut avoir en son sein une très forte proportion de nationalistes...dont les intérêts sont par définition en opposition avec un ordre international qui de plus est fortement anglo-saxon (la Finance internationale, les néoconservateurs, la City, Wall Street etc).
- Extrême droite et fascisme ne sont pas en aussi bonne entente qu’on pourrait l’imaginer.
Attendu que le fascisme implique cette notion d’imposer par un ordre vertical sur la Société, par un État puissant, et donc de manière dictatoriale, des "valeurs" (et non des principes),
(http://www.dedefensa.org/article-la_question_principes_contre_valeurs__14_12_2013.html )
attendu que ce n’est pas vraiment du goût de cette extrême droite qui elle possède des valeurs morales (ou des principes ?) plus individualistes, identitaires, de mérite, historiques etc., peut-il y avoir réellement entente entre les deux ?
J’en doute...
Je ne suis pas un spécialiste, mais de nombreuses fois j’ai été assez troublé de trouver de nombreux sites ou textes de cette "extrême droite" aux principes et aux valeurs qui devraient "normalement" , "génétiquement" oserai-je dire, se positionner en contradiction avec la Gauche progressiste, mais qui paradoxalement se retrouvent en opposition avec le fascisme (là pour le moment rien d’exceptionnel), mais aussi sur des positions violemment anti-Système, et les mêmes que celles de la gauche progressiste !
Il y a souvent identité de vue, et qu’on ne me parle surtout pas de confusionnisme...c’est le poil à gratter de l’analyse politique sérieuse !
Le Fascisme apparent de ces partis dits "populistes" qui fleurissent aux quatre coins de l’Europe est cette extrême droite "fasciste"...mais elle "peut en cacher une autre" :
http://www.legrandsoir.info/une-extreme-droite-peut-en-cacher-une-autre.html
Par cet article, j’ai essayé (réussi ?) de démontrer que le Système est bien plus dangereux que n’est le fascisme, car lui il est autrement plus calculateur et surtout il avance...masqué depuis qu’il a compris que le "socialisme" était son meilleur camouflage...
Les dictatures sud américaines furent pour le système un fiasco complet, il sera donc d’inspiration socialiste !
Les partis communistes sont aussi pour eux des atouts ; embourbés dans la mémoire vraie ou imaginaire du Stalinisme, ils ne vont surtout pas se risquer de faire l’inventaire du 20 ème siècle, pourtant il en aurait sérieusement besoin...Leur internationalisme à ces partis communistes, il va être méchamment torpillé par le vrai internationalisme du Système (en définitive le vrai fascisme), celui des délocalisations et des concurrences sauvages industrielles...et bien évidemment à son plus grand profit !
Mais poussez pas...il y en aura pour tout le monde, faudrait pas oublier les écolos ; ils seront manipulés eux aussi, par le vrai/faux réchauffement climatique.
La construction européenne fut leur chef-d’œuvre absolu !
Rien de tel que d’obliger des Pays qui économiquement à plus ou moins long terme ne pouvaient de toute évidence absolument pas s’entendre, c’est pour au bout du compte aboutir à... la zizanie que l’on subit !
Réunir pour mieux diviser et pour ensuite pour mieux régner !
C’est pas beau ça ?
Mais il faut lire attentivement cet article...même s’il apparaît un peu politiquement incorrect...
Je rejoins de fait beaucoup le commentaire de Dominique (comme d’ab’), dont sa conclusion :
L’union fait la force [jusqu’à : ...] Nous ne serons jamais d’accord sur tout, mais il y a quand même bien des points sur lesquels nous pouvons travailler ensemble.

23/12/2013 19:44 par gérard

erratum
à "rien n’est moins sûr", c’est le contraire que je voulais exprimer :« rien n’est plus sûr »
C’est ce qu’on appelle s’emmêler les pédales...

25/12/2013 09:26 par gérard

Un texte très intéressant aussi de Zeev Sternhell sur le site Comité Valmy :
Anti-Lumières de tous les pays ...
http://www.comite-valmy.org/spip.php?article1050

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