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En me recevant à Caracas, il avait exaspéré Robert Ménard

Mort du grand journaliste vénézuélien Eleazar Diaz Rangel

Mercredi 24 avril 2019 au matin, Eleazar Díaz Rangel, l’un des plus grands journalistes vénézuéliens, une sorte de symbole respecté pour son honnêteté et la conception qu’il avait de l’information, est décédé à l’âge de 87 ans à l’hôpital militaire de Caracas. Depuis quelques jours, il recevait un traitement sous respiration assistée.
J’avais eu le privilège de le rencontrer.

Sans pour autant les imposer à ses rédacteurs ni leur reprocher d’en avoir d’autres, il ne cachait pas ses idées de gauche ; il avait été sénateur du parti politique Movimiento al Socialismo (MAS).

On ne compte plus les prix qu’il avait obtenus pour son travail dans sa longue carrière. Il enseignait à l’Université centrale du Venezuela (UCV), il était directeur de la School of Social Communication.

Il dirigeait Ultimas Noticias, le plus grand journal du Venezuela : 300 000 exemplaires, 90 pages, vendu dans toute l’Amérique latine. Politiquement, c’est un peu Le Monde d’Hubert Beuve-Méry : ses rédacteurs couvrent tout l’éventail des opinions politiques. En 2007, on disait que le journal était parfois trop critique envers le chavisme même si, pour ce qui le concernait, Eleazar Diaz Rangel avait des sympathies pour Hugo Chavez. Cependant, un certain équilibre existait dont chacun pouvait prétendre qu’il était perfectible…

En mai 2007, je me trouvais au Venezuela pour les besoins de l’écriture de mon livre « La face cachée de Reporters sans frontières », paru en septembre 2007 avec une préface de Thierry Deronne. Thierry Deronne, un Vénézuélien d’origine belge avait mis à ma disposition les moyens d’une des rares télés publiques, Vive TV, dont il était vice-président. Vive TV était dirigée par Blanca Eekhout, qui est devenue ensuite ministre de la communication et de l’information et vice-présidente de l’Assemblée nationale.

Par une amie française, j’avais eu un contact avec un Vénézuélien venu faire son doctorat à Toulouse. Sa femme était journaliste à Ultimas Noticias. Au cours d’un dîner avec ce couple dans les premiers jours de mon séjour à Caracas, j’ai raconté que j’étais venu pour une enquête sur Reporters sans frontières, ONG incroyablement anti-chaviste, et que je préparais un livre sur le sujet. La journaliste a pensé que je devais rencontrer son directeur, Eleazar Diaz Rangel.

Elle a fait le nécessaire pour établir un contact et, quelques jours après, le 8 mai 2007, Eleazar Diaz Rangel m’a reçu au premier étage de la « Torre de la prensa ». C’était quelque chose d’inespéré et un grand honneur auquel je suis encore sensible aujourd’hui.

Son bureau était une pièce sobrement meublée et de dimensions modestes. Des journaux encombraient les meubles en aggloméré mélaminé, deux postes de télévision s’alignaient sur une armoire basse. Les visiteurs disposaient de vilaines chaises aux pieds chromés. J’ai cherché en vain du regard où était le mini-réfrigérateur. En France, j’ai vu des sous-directeurs de canards de province bien mieux lotis. Diaz Rangel lui-même ne se la jouait pas : chemise à carreaux, blouson de popeline. On avait du mal à imaginer qu’il dirigeait un des plus importants quotidiens d’Amérique latine, qu’il côtoyait l’élite de son pays et des pays voisins qu’il était fréquemment invité aux réceptions à Miraflores, le Palais présidentiel.

Je lui ai dit pourquoi j’étais au Venezuela. Je lui ai expliqué ce qu’était RSF, une « ONG » financée en partie par des dollars de sociétés écrans de la CIA et je lui ai appris qu’au moment même où nous parlions (à 10 heures), Robert Ménard, le patron de RSF, donnait une conférence de presse à l’hôtel Hilton de Caracas, pour protester contre la « fermeture » (sic) de RCTV (Radio Caracas Télévision).

Quatre jours plus tôt, le Parlement européen, « informé » sur place à Strasbourg par Robert Ménard et Marcel Granier, patron de RCTV, avait voté un texte de condamnation du Venezuela.

Eleazar Diaz Rangel m’a écouté sans m’interrompre, malgré mes hésitations dans le choix des mots, de mes formulations et quelques probables fautes de conjugaison. Ma connaissance de la langue espagnole est imparfaite. Là, je devais exposer des choses abstraites et politiques. J’ai un peu transpiré. Mon interlocuteur ne disait rien, mais je voyais dans son regard son intérêt pour mes propos et une bienveillance qui m’ont été utiles.

A la fin, il a pris son téléphone et a demandé à une journaliste de venir. Une minute après, on a frappé à la porte. Il a appuyé sur un bouton discret fixé sous le plan de son bureau. La porte s’est ouverte sur une jeune métisse munie d’un carnet et d’un stylo. Il m’a désigné à elle et lui dit de m’accompagner dans un autre bureau (en fait, un petit salon où un photographe nous a rejoints) pour m’interviewer et faire une photo. Puis, il s’est levé, il m’a tendu la main et (surprise !) il m’a dit dans un français parfait :

- Ultimas Noticias est honoré de vous accueillir dans ses colonnes. Vous aurez un article après-demain.

La vache ! Il aurait pu charmer Molière et il m’avait laissé agacer Cervantès ! J’en étais à la fois désolé et satisfait : j’avais réussi à me faire bien comprendre sur un sujet (RSF) où, en France, j’avais l’impression de parler à des mal-entendants. A l’époque. Ménard et RSF étaient intouchables dans les médias et dans les partis politiques (il avait même été invité à la fête de l’Huma, c’est dire !).

Le surlendemain Ultimas Noticias publiait un article d’après mes déclarations, surmonté d’un titre en gras, illustré de ma photo, tandis que Robert Ménard devait se contenter d’un espace étriqué, en dessous et sans photo.

Depuis, Robert Ménard classe Ultimas Noticias parmi les journaux du Pouvoir bolivarien. Ha ! Ha !

Pour l’anecdote, ce matin-là, Ménard avait eu fort affaire lors de sa conférence de presse de l’hôtel Hilton. Des journalistes vénézuéliens et deux français (nos amis Romain Migus et Christophe Ventura) s’obstinant à lui demander où il était et ce qu’il avait dit lors du « golpe » de 2002 contre le président élu Hugo Chavez, quand des journalistes étaient arrêtés, frappés, les chaînes de télé publiques fermées, leur matériel détruit. En fait, RSF avait soutenu le coup d’Etat, propageant de fausses nouvelles utiles aux putschistes, comme : « Reclus dans le palais présidentiel, Hugo Chávez a signé sa démission dans la nuit, sous la pression de l’armée ».

Il y avait, ce 8 mai 2007 à Caracas, deux journalistes très connus, situés chacun à un bout de l’éventail du métier. L’un roulait pour les USA et il était venu pourfendre un pays d’Amérique latine où la presse, essentiellement d’opposition, était entièrement libre, même libre de mentir et de proférer des menaces contre l’intégrité physique de chef d’Etat (Chavez), un métis, et donc un « macaco » (singe). L’autre était un honnête homme, un de ces journalistes qui font honneur au devoir d’informer.

Il me plait d’être l’ennemi du premier et d’avoir gagné la confiance du second jusqu’à l’avoir convaincu de me publier dans son journal.

Ciao, Eleazar, muchos gracias, nous allons essayer de marcher dans vos pas.

Maxime VIVAS

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