RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher
La solitude du journaliste à l’instant du penalty

Les journalistes deviennent-ils des salauds ?

Plus de deux années après l'assassinat au Nord-Mali de Ghislaine Dupont et Claude Verdon, des journalistes de RFI, l'enquête ne bouge pas. Certes, pour des magistrats, il est très difficile d'enquêter en zone de djihad. Mais le problème n'est pas là. Il est d'abord dans le refus exprimé par l'Etat français de déclassifier l'enquête faite par l'armée, présente au Mali dans le cadre de l'opération Serval. Face à ce scandale la profession de journaliste est exmplaire : elle ne bronche pas !

« Les journalistes deviennent-ils des salauds ? ». Poser la question c’est y répondre. Et d’autres, en surenchère, ajouteront que « salauds » ils le sont déjà, et pour certains depuis longtemps. Si la question du chaos éthique qui gagne mon métier me vient à l’idée, plus fort que d’habitude, c’est après avoir assisté, les larmes aux yeux le 2 novembre dernier, à la conférence de presse donnée par les Amis de Ghislaine Dupont et de Claude Verdon. Là, dans une minuscule annexe d’un théâtre, tendue de velours comme un catafalque, une quinzaine de journalistes étaient réunis pour tenter de ranimer la flamme qui doit veiller sur nos confrères assassinés. Bien peu de monde. Et aucun géant de l’info, ceux dont on voit la tête à l’écran comme des affiches de panneaux Decaux. On les pardonne, leur devoir d’informer. Leur conscience sourcilleuse exige leur présence en continue aux manettes de l’information. Ils sont comme des pilotes de centrales nucléaires, faut pas les déranger.

Donc dans la petite chapelle, à gémir sur le sort de nos confrères, nous n’étions que quelques inconnus, des attardés qui penchent encore leur tête hors du train quand un équipier de l’information passe par-dessus bord. Ah cette indifférence de ceux qui, pour des heures, nous lessivent la tête avec le contenu d’un tweet de footballeur, mais sont incapables de consacrer une seconde à des amis assassinés ! Cette froideur d’un métier qui fut chaud, le nouvel air de notre temps qui se glace, me sidère. Que sommes-nous devenus ? La non-assistance à personne assassinée est un critère de la nouvelle presse. The show must go on.

Car, sans faire de corporatisme, se pencher sur l’enquête qui devrait faire la lumière sur les deux crimes de Kidal, au nord Mali, relève du devoir de journaliste. Imaginez que les victimes soient des candidats à « The Voice » ? Là vous auriez des pages avec toutes les virgules, une flopée d’images et de sons. Pour Ghislaine Dupont et Claude Verdon... Rien. Ils sont morts et leur souvenir enterré avec eux.

Je vous vois venir et vous entendre dire : « Mais que peut-on faire ? Comment enquêter à Kidal, terre de djihad et autres barbaries ? » Vous n’avez pas raison. Le premier obstacle au progrès de l’enquête ce ne sont pas les farouches berbères ou l’insaisissable et si aimable borgne Mokhtar Belmokhtar... Non, le premier obstacle c’est l’Etat français. C’est lui qui refuse de « déclassifier » l’intégralité du dossier établi par les militaires sur le double crime de Kidal. Pardon, et soyons précis. Pour faire joli, l’Etat-major a quand même rendu public une centaine de documents, du genre la marque des pneus des jeeps mobilisées dans l’opération Serval. Parfois, les papiers libérés sont eux-mêmes barrés de noir, afin qu’on ne puisse tout y lire ! Pour le reste, soit 75 autres documents qui intéressent la justice, c’est niet (amusant, à propos de « niet », imaginez que ce soit Poutine qui se livre à ce type de censure !). Donc, et par exemple, on ne saura jamais si des « aéronefs » français, et à quelle heure, ont survolé le 4X4 utilisé par les ravisseurs de nos amis journalistes... On ne saura rien. Et nos frères sont victimes d’une deuxième mort. Un assassinat politico-judiciaire couvert par Hollande et Le Drian.

A la suite de ce forfait, avez-vous entendu parler d’une manifestation massive de journalistes devant le Palais de l’Elysée ? Exigeant de déclassifier l’intégralité de ces maudits papiers ? Non. Pourtant, ne les dérangez pas : ils sont trop occupés à guetter les tweets de footballeurs. Qui dira la solitude du journaliste à l’instant du pénalty ?

Jacques-Marie BOURGET

URL de cet article 30027
  

Même Thème
Histoire de ta bêtise
François Bégaudeau
PREFACE D’abord comme il se doit j’ai pensé à ma gueule. Quand en novembre les Gilets jaunes sont apparus pile au moment où Histoire de ta bêtise venait de partir à l’imprimerie, j’ai d’abord craint pour le livre. J’ai croisé deux fois les doigts : une première fois pour que ce mouvement capote vite et ne change rien à la carte politique que le livre parcourt ; une second fois pour que, tant qu’à durer, il n’aille pas jusqu’à dégager Macron et sa garde macronienne. Pas avant le 23 janvier 2019, date de (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

Le journalisme véritablement objectif non seulement rapporte correctement les faits, mais en tire leur véritable signification. Il résiste à l’épreuve du temps. Il est validé non seulement par des "sources sûres", mais aussi par le déroulement de l’Histoire. C’est un journalisme qui, dix, vingt ou cinquante ans après les faits, tient encore la route et donne un compte-rendu honnête et intelligent des évènements.

T.D. Allman (dans un hommage à Wilfred Burchett)

"Un système meurtrier est en train de se créer sous nos yeux" (Republik)
Une allégation de viol inventée et des preuves fabriquées en Suède, la pression du Royaume-Uni pour ne pas abandonner l’affaire, un juge partial, la détention dans une prison de sécurité maximale, la torture psychologique - et bientôt l’extradition vers les États-Unis, où il pourrait être condamné à 175 ans de prison pour avoir dénoncé des crimes de guerre. Pour la première fois, le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, Nils Melzer, parle en détail des conclusions explosives de son enquête sur (...)
11 
Ces villes gérées par l’extrême-droite.
(L’article est suivi d’un « Complément » : « Le FN et les droits des travailleurs » avec une belle photo du beau château des Le Pen). LGS Des électeurs : « On va voter Front National. Ce sont les seuls qu’on n’a jamais essayés ». Faux ! Sans aller chercher dans un passé lointain, voyons comment le FN a géré les villes que les électeurs français lui ont confiées ces dernières années pour en faire ce qu’il appelait fièrement « des laboratoires du FN ». Arrêtons-nous à ce qu’il advint à Vitrolles, (...)
40 
Médias et Information : il est temps de tourner la page.
« La réalité est ce que nous prenons pour être vrai. Ce que nous prenons pour être vrai est ce que nous croyons. Ce que nous croyons est fondé sur nos perceptions. Ce que nous percevons dépend de ce que nous recherchons. Ce que nous recherchons dépend de ce que nous pensons. Ce que nous pensons dépend de ce que nous percevons. Ce que nous percevons détermine ce que nous croyons. Ce que nous croyons détermine ce que nous prenons pour être vrai. Ce que nous prenons pour être vrai est notre réalité. » (...)
55 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.